RŽalitŽ et conditions de lĠautonomie comportementale humaine. LĠŽtude scientifique est-elle possible ?

 

                  La plupart des gens qui veulent et peuvent rŽflŽchir sur le sens de leurs choix et dŽcisions, ont le sentiment dĠagir volontairement, comme ils lĠentendent. Ce nĠest pas pour autant que ce sentiment soit facilement justifiŽ sur un plan scientifique.


                  Descartes, lĠun des premiers ˆ tenter une synthse de lĠhomme biologique, pensait que la responsabilitŽ, la dŽcision, le choix, en un mot le libre-arbitre au sens plein du terme, dŽpendaient dĠun principe supra biologique, propre ˆ lĠhomme, et absent chez les animaux, ces derniers qualifiŽs de ce fait dĠÇanimaux-machines È.

 

                  Il en rŽsulta un courant contraire, qui conduisit ˆ une explosion du dŽterminisme psychologique qui paraissait seul conciliable avec une approche biologique. Vers le milieu du XXme sicle, la psychologie et la psychiatrie franaises passaient sous la coupe de doctrines, avec Sigmund Freud, Jacques Lacan, John Watson,  postulant un dŽterminisme psychologique qui traduisait en fait un refus du libre arbitre.

 

                  A lĠopposŽ, vers 1940, Pierre Vendrys dŽbutait une vŽritable rŽvolution par une analyse biologique affirmant Ç lĠautonomie du vivant È, et postulant mme un libre arbitre chez lĠanimal non humain. QuĠen est-il en ce dŽbut du XXIme sicle ? La question est essentielle puisque la rŽponse conditionne la psychologie, la psychiatrie, lĠexercice de la loi, et mme dans une certaine mesure, le sens des convictions religieuses.

 

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                  Il nĠest pas sans intŽrt de faire une comparaison avec la querelle opposant gŽocentrisme et hŽliocentrisme, qui a demandŽ deux millŽnaires avant quĠune solution cohŽrente ne soit universellement acceptŽe. La difficultŽ de rŽsoudre le problme posŽ a notamment ŽtŽ aggravŽe par ce que Mioara Mugur-Schafter a appelŽ la "conceptualisation transfŽrŽe" qui oblige ˆ utiliser le discours propre ˆ une vieille thŽorie pour en dŽcrire une nouvelle avant quĠune rŽvision conceptuelle ne soit effectuŽe.

 

                  Vers 280 ans avant la naissance du Christ, un savant grec gŽnial, se basant sur les Žclipses de la lune et du soleil, prŽtendit avoir dŽmontrŽ que la lune tournait autour de la Terre, que lĠensemble terre/lune tournait autour du soleil. Il fut ridiculisŽ quelques annŽes plus tard par Archimde, et ce nĠest quĠen 1729 que lĠastronome anglais James Bradley dŽmontra quĠAristarque avait parfaitement raison dans son raisonnement, que les mesures astronomiques quĠil donnait Žtait correctes ˆ un facteur 4 prs. Sa seule erreur avait ŽtŽ dĠaccorder une valeur de deux degrŽs au diamtre apparent de la lune et du soleil, alors que la valeur rŽelle est quatre fois plus faible. Si Aristarque avait disposŽ dĠun papier semi-transparent, et quĠil avait eu les connaissances dĠHipparque (- 140 avant JC) en trigonomŽtrie, il aurait pu prŽcŽder tous les PtolŽmŽe, Copernic, Kepler, GalilŽe ou autre Newton, en astronomie.

 

                  Il est ˆ lĠinverse, important de comprendre les multiples raisons du rejet des idŽes dĠAristarque ˆ leur Žpoque, en dŽpit de leur exactitude. Elles se rŽsument dans une affirmation de Gaston Bachelard, soulignant que le progrs de la connaissance ne peut sĠŽtablir que dans une condamnation difficile de donnŽes antŽrieurement existantes, ayant paru de bon sens et de ce fait, universellement acceptŽes.

                  La mme situation se prŽsente aujourdĠhui pour lĠapproche scientifique du libre arbitre. LĠapproche scientifique en biologie nĠa vraiment dŽbutŽ quĠau XVIIIme sicle. LĠapproche psychologique est encore plus rŽcente, nĠayant pris son envol quĠˆ la fin du XIXme sicle.

 

                  La nŽcessitŽ dĠune Ç conceptualisation transfŽrŽe È appara”t dans les mots barbares rŽcemment introduits qui marquent le sujet,  comme la Ç cl™ture  organisationnelle È dĠHumberto Maturana et Francisco Varela, mais aussi des termes un peu plus anciens, comme Ç lĠŽnergie spŽcifique È de Joannes Muller,  la Ç rŽaction circulaire È de J.M. Balwin, ou Ç lĠabstraction rŽflŽchissante È de Jean Piaget. Mon but, par cet article, est de favoriser une approche biologique du libre arbitre par la comprŽhension de donnŽes absolument essentielles mais beaucoup plus simples quĠil ne pourrait para”tre ˆ premire vue, derrire les questions entra”nŽes par un vocabulaire discutable. Un point de dŽpart essentiel est lĠanalyse critique du dŽterminisme scientifique.

 

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Analyse critique du dŽterminisme scientifique

 

                  Le dŽterminisme scientifique est nŽ de lĠastronomie. LĠexpŽrience courante avait  soulignŽ une certaine prŽvision comme le retour journalier du soleil et de la lune, et mieux encore, le retour des saisons. Mais un pas de plus a ŽtŽ fait lorsque le calcul est intervenu pour accroitre les capacitŽs de prŽdiction. En ce sens, un vŽritable parrain du dŽterminisme est PtolŽmŽe, au deuxime sicle aprs le Christ, lorsquĠil Žtablit, dans lĠAlmageste, les calculs permettant de prŽvoir les Žclipses de lune et de soleil.

 

                  Aprs une suspension de plus dĠun millŽnaire, les succs en astronomie ont favorisŽ une extension du dŽterminisme, dans un premier temps ˆ la physique et ˆ la chimie, puis ˆ la biologie et enfin ˆ la psychologie.

 

                  Sur un plan mŽtaphysique, le dŽterminisme est dŽfini par Lalande comme une doctrine suivant laquelle Ç tous les ŽvŽnements de lĠunivers sont liŽs dĠune faon telle que les choses Žtant ce quĠelles  sont ˆ un moment quelconque du temps, il nĠy ait pour chacun des moments  antŽrieurs ou ultŽrieurs, quĠun Žtat et un seul qui soit compatible avec le premier È. Cela est ˆ la base de la prŽdiction, et expliquent Ç les recettes qui marchent toujours È, selon lĠexpression de Paul ValŽry.

 

                  La dŽfinition du dŽterminisme du mathŽmaticien Pierre-Simon de Laplace est apparemment trs voisine : Ç Nous devons donc envisager lĠŽtat prŽsent de lĠunivers comme lĠeffet de son Žtat antŽrieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donnŽ, conna”trait toutes les forces dont la nature est animŽe, et la situation respective des tres qui la composent, si dĠailleurs elle Žtait assez vaste pour soumettre ces donnŽes ˆ lĠAnalyse, embrasserait dans la mme formule les mouvements des plus grands corps de lĠunivers et ceux du plus lŽger atome : rien ne serait incertain pour elle et lĠavenir, comme le passŽ serait prŽsent ˆ ses yeux. È

 

           Il me semble que beaucoup de confusions seraient ŽvitŽes sur un plan mŽtaphysique, si, avant de parler de dŽterminisme, la question de lĠinclusion de la consŽquence des actions humaines dans lĠapproche Žtait posŽe, que ces actions humaines soient intŽgrŽes ou mises ˆ part. Je mentionne donc la nŽcessitŽ dĠune prŽcision verbale complŽmentaire, proposant de parler de dŽterminisme universel lorsque les actions humaines sont incluses, et de dŽterminisme seulement cognitif ou scientifique, lorsquĠelles ne le sont pas, entrainant alors lĠUnivers IrrŽsolu de Karl Popper.

 

                  Ainsi mieux dŽfini, le dŽterminisme universel est une crŽation, en 1745, de Julien Offray de la Mettrie, qui rŽduisit lĠesprit humain ˆ lĠanimal-machine de Descartes, par pŽtition de principe, et sans aucunement expliciter sa position.

Contrairement ˆ ce que beaucoup croient, ce nĠŽtait pas la position de Laplace qui fut toute sa vie et ˆ sa mort, un honnte chrŽtien, et critiqua seulement Ç les coups de pouce divins nŽcessaires È, postulŽs par Newton pour expliquer totalement le mouvement des astres. Ce faisant, la position de Laplace introduit un paradoxe puisque lĠaction humaine peut modifier de faon imprŽvisible, le cours des ŽvŽnements non humains.

De mme, Claude Bernard se considŽrait comme agnostique, le terme venait dĠtre crŽŽ par Thomas Huxley, et son analyse du dŽterminisme laisse ouverte lĠidŽe que ce dernier recouvre ou non lĠactivitŽ mentale humaine.

 

                  John B. Watson, lĠinventeur de la gŽnŽralisation du conditionnement au dŽbut du XXme sicle, est tout aussi ambigu, puisquĠil  dŽclara limiter son dŽterminisme au comportement humain Ç observable È, le seul qui lĠintŽressait.  Ivan Pavlov, inspirateur de Watson, Žtait un grand croyant chrŽtien, en opposition totale au dŽterminisme universel, et cĠest le dŽnommŽ Joseph Staline qui intervint, ˆ des fins politiques Žvidentes, dans lĠEncyclopŽdie SoviŽtique, pour donner son interprŽtation extrmement politique et utilitaire du pavlovisme. Le conditionnement opŽrant de Skinner, rattachŽ de faon erronŽ au bŽhaviorisme, est tout sauf un mŽcanisme dŽterministe puisquĠil inclut des choix et dŽcisions personnels.

 

                  Le seul vŽritable psychologue dŽterministe est donc Sigmund Freud qui ne pouvait se passer du dŽterminisme universel pour Žtablir lĠinterprŽtation psychanalytique individuelle, notamment dans les associations de pensŽe, ce qui fut ˆ lĠorigine de son succs provisoire.

AujourdĠhui, comme je le dis ailleurs, toutes les bases neuroscientifiques sur lesquelles Freud pensait pouvoir sĠappuyer se sont effondrŽes, et avec elles un dŽterminisme universel cohŽrent. Ce nĠest pas autant que le refus du dŽterminisme universel conduise ˆ des voies Žvidentes, et cĠest lˆ quĠintervient Pierre Vendrys (DŽterminisme et Autonomie, Armand Colin, Paris 1956).

 

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A lĠopposŽ du dŽterminisme, lĠautonomie du vivant.

 

                  Si ce dernier terme dĠautonomie fut largement dŽveloppŽ par Pierre Vendrys, cet auteur a toujours affirmŽ quĠil avait trouvŽ son inspiration chez Claude Bernard. LĠapport de ce dernier est essentiel, mais, comme je lĠai dit plus haut,  sans aucune rŽfŽrence particulire au psychisme humain :

 

Ç Tout acte d'un organisme vivant a sa fin dans l'enceinte de cet organisme. Celui-ci forme en effet un microcosme, un petit monde o les choses sont faites les unes pour les autres, et dont on peut saisir la relation parce que l'on peut embrasser l'ensemble naturel de ces choses. È

 

Ç Les machines vivantes sont crŽŽes et construites de telle faon qu'en se perfectionnant, elles deviennent de plus en plus libres dans le milieu cosmique gŽnŽral. Mais il n'en existe pas moins toujours le dŽterminisme le plus absolu dans leur milieu interne, qui, par suite de ce mme perfectionnement organique, s'est isolŽ de plus en plus du milieu cosmique extŽrieur."

 

Ces deux citations, rŽdigŽes 100 ans avant les publications de Maturana et Valela expriment les mmes idŽes, de faon moins concise, mais, ˆ mon avis, plus comprŽhensibles.

 

LĠapport de Pierre Vendrys.

 

Pierre Vendrys dŽplaa lĠautonomie de Claude Bernard vers le fonctionnement mental, insistant sur ce que devait tre le Ç perfectionnement organique È de Claude Bernard, affirmant notamment que lĠautonomie mentale devait se construire, et se construire individuellement. 

 

- la dŽfinition de lĠautonomie par Pierre Vendryes :

 

Pierre Vendrys prit comme exemple Ç lĠautonomie È accordŽe aux citŽs grecques par le gŽnŽral romain Quinctius Flamininius, consistant Ç ˆ nĠavoir ˆ obŽir quĠˆ leurs propres lois. È

LĠautonomie se dŽfinit par rapport aux relations avec un repre extŽrieur.

Se basant sur cette dŽfinition, Pierre Vendrys postule que les animaux non humains disposent dĠun libre-arbitre, Žvidemment beaucoup moins ŽtoffŽ que le libre-arbitre humain.

 

Pierre Vendrys refuse donc le concept cartŽsien des animaux-machines, et replace sur un plan strictement biologique, une capacitŽ de libre-arbitre.

 

- la construction de lĠautonomie par le sujet lui-mme :

 

Cela inclut et dŽpasse la notion dĠ Ç autopo•ese È formulŽe en 1972, soit 30 ans plus tard par les mmes Maturana et Varela, et qui semble limitŽe au Ç processus incessant de remplacement des composants È (Autonomie et Connaissance, Varela, 1988)

 

Pierre Vendrys  rejoint en fait la notion de Ç sujet È postulŽ par Maurice Blondel : Le sujet existe non seulement en soi, mais pour soi, et, ne se bornant pas ˆ tre un objet, visible du dehors ou dŽlimitŽ par des contours logiques, nĠa sa vŽritable rŽalitŽ quĠen contribuant ˆ se faire lui-mme, ˆ partir sans doute dĠune nature donnŽe et selon des exigences subies, mais par un devenir volontaire et une conqute personnelle. (voir par ailleurs Ç Le dŽveloppement cŽrŽbral, embryonnaire et immŽdiatement post natal È sur ce site.)

 

Cela inclut :

 

1) le fait que lĠÏuf se fasse lui-mme embryon dans un milieu fermŽ, ˆ lĠabri de toute influence organisatrice externe, notion universellement admise aujourdĠhui. Comme le grand embryologiste anglais Waddington lĠaffirmait dŽjˆ en 1964, un systme prŽdŽterminŽ dans un programme prŽexistant au sein de lĠÏuf, est inacceptable. Ç Pour devenir un embryon, vous avez ˆ vous construire vous-mme ˆ partir dĠune cellule unique (Gilbert, 2006). Cela nĠexclut nullement que des lois contraignantes ne rŽgissent le dŽveloppement embryologique mais il sĠagit de lois internes propres ˆ lĠorganisme clos.

 

2) le constructivisme radical de von Glasersfeld pour expliquer le dŽveloppement psychologique post-natal de lĠenfant. Cependant, un fait essentiel que Pierre Vendrys nĠa pas totalement relevŽ, est que la construction est liŽe au fait que lĠenfant lui-mme modifie les rgles du jeu en intŽgrant le rŽsultat ou consŽquences de ses actions, lors des contacts avec lĠenvironnement. CĠest ce que Balwin et Piaget ont dŽcrit sous les noms inutilement barbare de rŽaction circulaire ou dĠabstraction rŽflŽchissante, et qui pourraient fort bien sĠappeler tout simplement une Ç rŽflexion È ou un retour sur les consŽquences des relations agies avec lĠenvironnement. CĠest encore un Ç constat de lĠeffet È pour parler comme Thorndyke(1911)

 

3) cela valorise la doctrine chrŽtienne et lĠŽvolution morale quĠelle permet, mme en indŽpendance dĠune croyance en lĠexistence de Dieu le Pre, et dĠune survie aprs la mort, comme le veut lĠEvangile de Saint Mathieu. (De mme, lire Ç Le jugement moral chez lĠenfant È de Jean Piaget : le sens de la coopŽration est intŽgrŽe secondairement et seulement aprs une longue construction individuelle.)

 

                  Il a pu appara”tre alors la nŽcessitŽ de condenser toutes ces notions sous le terme unique de Ç cl™ture organisationnelle È. Mais la description de la cl™ture organisationnelle par Varela est aussi absconse que le terme lui–mme et une dŽcomposition sĠimpose. Varela doit faire immŽdiatement un pas en arrire en parlant de Ç systme opŽrationnellement clos È. 

 

- un systme est un ensemble dĠŽlŽments interagissant entre eux selon certains principes ou rgles propres. Ce nom trs gŽnŽral est utilisŽ pour dŽborder le cadre de la Biologie, mais dans ce dernier cas, il est prŽfŽrable de parler dĠorganisme, quitte ˆ dŽcrire un grand nombre de systmes au sein dĠun mme organisme.

 

- un systme  (ou un organisme) est dit Ç ouvert È sĠil y a des relations avec lĠenvironnement, Ç clos È dans le cas contraire. Un organisme vivant est nŽcessairement ouvert pour le renouvellement de lĠŽnergie consommŽe, la rŽgulation thermique, lĠŽvacuation des dŽchets. Mme dans le cas de lĠÏuf dĠoiseau o les Žchanges avec lĠextŽrieur sont rŽduits au minimum, lĠouverture demeure importante. Il devenait donc nŽcessaire de distinguer les Žchanges physiques et les influences sur lĠorganisation interne. CĠest cela qui est ˆ lĠorigine du terme de  cl™ture organisationnelle : un organisme vivant est autonome parce quĠil est ˆ la fois ouvert sur le plan matŽriel et clos sur le plan de lĠorganisation interne. Pour reprendre lĠexemple des villes grecques, les Žchanges notamment commerciaux avec lĠŽtranger sont maintenus car indispensables, mais lĠextŽrieur, notamment le monde romain, nĠagit pas sur lĠŽconomie interne, lĠorganisation politique au sens large du mot.

 

                  LĠinformation venue de lĠextŽrieur pose un vŽritable dilemme, face ˆ la notion de cl™ture organisationnelle. LĠautonomie qui appara”t dans la rŽflexion de Claude Bernard est la capacitŽ de maintenir activement et par ses propres lois, un Žquilibre interne stable en dŽpit des fluctuations du milieu ambiant. Cela semble bien supposer une Ç information È venue de ce milieu ambiant pour prŽciser la nature des fluctuations. Mais alors comment ces informations ne peuvent-elles pas ne pas agir pour modifier lĠorganisation interne de lĠorganisme ? La rŽponse est double, et ˆ trouver dĠune part, dans un codage prŽalable de toute information extŽrieure avant son assimilation, et dĠautre part, dans le t‰tonnement actif et organisŽ devant tout problme.

Auparavant, il me para”t souhaitable de reprendre les problmes dĠouverture et fermeture dans un organisme autonome

 

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Le contr™le de lĠouverture et de la cl™ture, condition fondamentale de lĠAutonomie

 

                  Si lĠon aborde la dŽfinition de lĠautonomie par Pierre Vendrys, sous son aspect nŽgatif, lĠautonomie consiste ˆ Žchapper aux rgles et pressions qui nĠappartiennent pas ˆ lĠorganisation du systme considŽrŽ. Cette donnŽe est ˆ lĠorigine du terme de Ç cl™ture  organisationnelle È ou Ç cl™ture opŽrationnelle È de Maturana et Varela. Cette condition nĠest pas de rŽalisation immŽdiate dans la mesure o un systme doit, pour survivre et agir, tre ouvert sur son environnement.  Il y a donc deux exigences contradictoires qui imposent Ç une police aux frontires È. Deux domaines sont ˆ considŽrer, qui apparaissent fortement documentŽs aujourdĠhui :

- les aspects matŽriels et ŽnergŽtiques.

- les aspects dĠinformation

 

Les aspects matŽriels et ŽnergŽtiques :

 

Le simple entretien vital de la machine humaine consomme ˆ peu prs la moitiŽ de la ration alimentaire journalire. A cela sĠajoute la consommation ŽnergŽtique des efforts dĠadaptation en face de tous les facteurs de dŽsŽquilibre.

 

                  Mais de plus, tous les constituants dĠun organisme nĠont pas lĠespoir de vie de lĠorganisme entier. Nombre dĠŽlŽments meurent. Ils doivent tre remplacŽs, et les reliquats matŽriels doivent tre ŽliminŽs de lĠorganisme en tant que dŽchets. Il en rŽsulte des Žchanges matŽriels indispensables. Ces Žchanges doivent tre totalement contr™lŽs pour Žviter tout processus portant atteinte ˆ lĠorganisation. Certaines maladies gŽnŽtiques gravissimes sont liŽes ˆ une incapacitŽ de rŽduction des dŽchets, permettant leur Žlimination.

 

                  Chaque cellule de notre organisme est un Ç microcosme È, le mot est de Claude Bernard, autonome, et la Biologie rŽcente a parfaitement analysŽ, depuis quelques dizaines dĠannŽes,  le contr™le des Žchanges au travers de la membrane cellulaire

DŽjˆ au niveau cellulaire, un problme dĠinformation appara”t indispensable, tous les ŽlŽments bŽnŽfiques et malŽfiques en cause devant tre identifiŽs.

 

Les aspects dĠinformation :

 

Ils sont essentiels au niveau matŽriel. La toxicitŽ de lĠarsenic est due pour une large part au fait quĠil est confondu avec son homologue chimique, le phosphore. CĠest parce quĠil nĠest pas identifiŽ comme hyper toxique car agissant principalement sur les mitochondries, que lĠacide cyanhydrique est mortel ˆ si faible dose. Les exemples pourraient tre multipliŽs, mais je pense quĠil est surtout important de se fixer et se limiter au plan comportemental. Comment lĠindividu humain peut-il intŽgrer une information essentielle tout en Žvitant la toxicitŽ Žventuelle du support physique de cette information ?

 

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Le codage de lĠinformation extŽrieure

 

En 1959, Bertrand Russell, surtout connu comme agitateur politique et pourtant par ailleurs un trs grand logicien, Žcrivit : Ç  Nous pouvons observer et voir ce qui se passe dans notre tte, nous ne pouvons observer ni voir rien dĠautreÉ..Le ciel ŽtoilŽ que nous fait conna”tre la sensation visuelle est ˆ lĠintŽrieur de nous. Le ciel ŽtoilŽ auquel nous croyons est infŽrŽ. È

Russell attŽnue de lui-mme la portŽe de telles affirmations, disant quĠelles ne peuvent tre prouvŽes, mme si elles ne sont pas rŽfutables.

 

En fait, cette prudence ne se justifie pas, et les rŽflexions de Russell apparaitraient beaucoup mieux ŽtayŽes, sĠil avait fait preuve de plus de curiositŽ biologique.

 

                  Au point de dŽpart, nous pouvons partir de lĠaffirmation de Saint Thomas dĠAquin : Ç Nihil est in intellectu quod non est prior in sensu È.  Le principe appara”t toujours valable et utile aujourdĠhui, mais Saint Thomas nĠavait absolument aucune idŽe de ce quĠŽtait vŽritablement la sensation et les mŽcanismes qui la sous-tendent. CĠest seulement cinq sicles et demi aprs la mort de Saint Thomas, quĠont commencŽes ˆ tre prŽcisŽes les deux donnŽes scientifiques qui devaient rŽvolutionner la signification de la sensation, en allant dans le sens adoptŽ par Russell.

 

Premire donnŽe : un rŽcepteur sensoriel dit toujours qualitativement la  mme chose quel que soit lĠexcitant, ou il ne dit rien.

 

CĠest Joannes Peter Muller qui fut le premier ˆ le dire, probablement ds 1826 :

Ç Une mme cause, telle que l'ŽlectricitŽ, peut affecter simultanŽment tous les organes sensoriels, car ils y sont tous sensibles; et cependant, chaque nerf sensitif y rŽagit diffŽremment ; un nerf la peroit comme de la lumire, un autre l'entend comme un bruit, un autre la sent comme une odeur; un autre gožte l'ŽlectricitŽ, un autre la sent comme douleur et choc. Un nerf peroit une image lumineuse ˆ travers une irritation mŽcanique, un autre l'entend comme un bourdonnement, un autre encore la ressentira comme une douleur. Quiconque veut bien considŽrer les consŽquences de ces faits ne peut manquer de rŽaliser que la sensibilitŽ spŽcifique des nerfs pour certaines impressions ne suffit pas, puisque tous les nerfs sont sensibles ˆ la mme cause, mais rŽagissent ˆ cette mme cause de diffŽrentes manires. La sensation n'est pas la conduction d'une qualitŽ ou d'un Žtat des corps externes vers la conscience, mais la conduction d'une qualitŽ ou d'un Žtat de nos nerfs excitŽs par une cause externe vers la conscience. È

 

Malheureusement, Joanns Muller fit appel au terme discutable dĠǎnergie spŽcifique È pour dŽcrire ce phŽnomne, ce qui freina sa reconnaissance, en dŽpit des beaux travaux de lĠŽlve de Muller, Hermann von Helmholtz. Le principe de Muller appara”t aujourdĠhui ˆ la fois indŽniable et essentiel, mais avec prs de deux cent ans de retard.

 

Deuxime donnŽe : un rŽcepteur sensoriel dit toujours quantitativement la  mme chose dans lĠinstant, ou il ne dit rien.

 

CĠest  la " loi de tout ou rien" :  un rŽcepteur sensoriel ŽlŽmentaire ˆ l'instant t n'a que deux Žtats possible, le repos qui peut tre qualifiŽ de "0", et une dŽcharge parfaitement univoque quel que soit lĠexcitant, qui peut tre qualifiŽe de "1".

On rejoint ainsi le principe des Ç 0 È et Ç 1 È de Turing, mais en sens inverse : toute sensation peut tre traduite par un ensemble de "0"et de "1", mais parce qu'effectivement, elle est Žtablie par une combinaison d'un ensemble de "0" et de "1". 

Une consŽquence immŽdiate nŽcessaire mais qui est rarement perue, est que "la variŽtŽ" des sensations est introduite, totalement et uniquement explicable, par une combinaison de "0" et "1", appartenant chacun ˆ l'organisation sensorielle de l'individu, et non ˆ une rŽalitŽ extŽrieure. Pour parler comme Alfred Korzybski, c'est uniquement "une carte",  Žquivalent plus ou moins arbitraire  dĠun territoire, et non un territoire.

 

                  Pour reprendre l'expression que j'ai relevŽ pour la premire fois (1978)  chez le prix Nobel Gerald Edelman, la sensation est "a mode of itself È des systmes cŽrŽbraux, une faon d'tre personnelle de notre organisme, ˆ laquelle nous devons attribuer secondairement un lien avec "une rŽalitŽ" qui ne peut tre quĠinfŽrŽe. Ç  La perception visuelle, notamment, nĠest pas une analyse passive dĠimages projetŽes sur une sorte dĠŽcran intŽrieur, elle ne sĠŽlabore quĠˆ la faveur dĠune exploration active qui, ˆ chaque fois, construit le monde peru  comme une sorte de modle hypothŽtique du monde rŽel. È (Boisacq-Chappens et Crommelinck, UniversitŽ catholique de Louvain, Neurosciences,1987)

 

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Cependant, il nĠy a pas lieu dĠaller loin dans une critique de la valeur cognitive de la sensation, car, en dŽpit de cette absence dĠŽquivalence stricte  entre Ç la rŽalitŽ È et les donnŽes perceptivo-sensorielles,  lĠaphorisme de Saint Thomas dĠAquin sur le r™le de la sensation, demeure totalement valable

 

A) Le remplacement, arbitraire ou non,  dĠune Ç forme È physique par une autre, pour qualifier un ŽvŽnement et permettre une rŽflexion, nĠa aucune consŽquence pŽjorative obligatoire sur le fonctionnement cognitif, sĠil en est pris conscience. LĠappel au langage pour le fonctionnement cognitif en est une dŽmonstration Žclatante, o lĠŽcart entre le discours descriptif et la rŽalitŽ supposŽe est encore plus grand quĠentre la traduction perceptivo-sensorielle, et les ŽvŽnements rencontrŽs. Le langage Žcrit accentue encore lĠŽcart entre la donnŽe matŽrielle et la signification. Lors de la lecture, un adulte nŽglige totalement le dessin des lettres et peroit directement le sens des mots.

 

                  Les travaux de Ferdinand de Saussure ont dŽmontrŽ quĠil nĠy avait aucune contrainte a priori dans le choix des phonmes pour dŽfinir des signifiants (aspect matŽriel des mots) permettant toute la dynamique cognitive. Le systme phonŽmatique est encore beaucoup plus arbitraire par rapport au contenu cognitif du langage, que le sont les reprŽsentations perceptivo-sensorielles par rapport ˆ une rŽalitŽ infŽrŽe thŽorique. Quelle ressemblance physique  y a-t-il entre Ç A  body immersed in a fluid is buoyed up by a force equal to the weight of the displaced fluid È, dĠune part, et  ÇTout corps plongŽ dans un fluide reoit de la part de celui-ci une poussŽe verticale, dirigŽe de bas en haut, Žgale au poids du volume de fluide dŽplacŽ È. Les deux phrases ont pourtant une signification absolument identique pour quelquĠun parlant couramment ˆ la fois lĠanglais et le franais.

Je pense mme que les dŽcoupages conceptuels eux mmes, supportent assez aisŽment une part dĠarbitraire. Ainsi, en franais, le verbe Ç tre È qualifie aussi bien une propriŽtŽ que lĠexistence, ce qui nĠest pas sans consŽquences ŽpistŽmologiques.

 

                  Comme Gorges Spencer-Brown lĠa soulignŽ, lĠimportant est dĠŽtablir une Ç distinction È entre deux ŽvŽnements, cĠest ˆ dire Ç reconna”tre È un ŽvŽnement dŽjˆ peru et qualifiŽ, et le diffŽrencier dĠautres ŽvŽnements. 

En revanche, et du fait mme de ces caractres arbitraires, tout langage doit tre lĠobjet dĠun apprentissage complet avant utilisation correcte. Cet apprentissage comporte deux faces :

- lĠacceptation quĠune Ç forme È phonŽmatique puisse tre la traduction dĠun processus cognitif (vers 18 mois dĠ‰ge).

- lĠapprentissage particulier de tout signifiant et de tout signifiŽ (sens attribuŽ ˆ un mot)

Par ailleurs, il nĠy a que des contraintes limitŽes dans une transcription verbale dĠun ŽvŽnement observŽ, des erreurs peuvent sĠintroduire, et la vŽrification expŽrimentale dĠune proposition sĠimpose donc toujours.

De mme, un contr™le expŽrimental est indispensable avant de retenir une proposition comme une traduction valide dĠune rŽalitŽ supposŽe

 

B) Le relevŽ croisŽ, notion sur laquelle Karl Popper a beaucoup insistŽ avec raison. La jonction entre deux donnŽes peut sĠimposer, alors que chaque donnŽe prise isolŽment pourrait nĠtre quĠune illusion. JĠai le droit de considŽrer quĠune perception visuelle et une perception tactile considŽrŽes isolŽment ont une origine diffŽrente de celle ˆ laquelle je pensais spontanŽment, mais il mĠest bien difficile de penser ˆ une erreur, par exemple lorsquĠune perception tactile na”t au moment mme o je lĠattendais lorsque jĠapproche ma main de la table.

CĠest probablement le critre sur lequel sĠest basŽ DŽmocrite pour opposer des Ç qualitŽs premires È comme lĠŽtendue, o le relevŽ croisŽ est possible, et des qualitŽs secondes comme la couleur, lĠodeur ou le gožt, dans laquelle il nĠy a pas de relevŽ croisŽ possible sur le plan sensoriel, et que DŽmocrite attribuait de ce fait, ˆ une crŽation de la perception.

 

                  LorsquĠun objet est ŽclairŽ par des sources lumineuses trs diffŽrentes mais toutes polychromatiques vraies (continuitŽ des diffŽrentes frŽquences), il nous Ç appara”t È de la mme couleur. Ainsi, un objet observŽ ˆ la lumire dĠune bougie (tempŽrature de couleur de 1800 K, dĠune lampe ˆ incandescence (tempŽrature de couleur dĠenviron 2800 K, en plein soleil sans nuage (tempŽrature de couleur de 5500 K), sous ciel couvert (8000 K), et en trs haute montagne enneigŽe (12000K), fournit ˆ peu prs la mme impression colorŽe, alors quĠun colorimtre dŽmontrera dĠŽnormes diffŽrences du rayonnement de cet objet, dans les diffŽrentes situations. CĠest le phŽnomne de la constance de la couleur, particulirement ŽtudiŽ dans la thŽorie rŽtinex dĠEdwin Land, qui nĠappara”t pas en cas dĠŽclairage monochromatique ou ˆ spectre discret.

Le mŽcanisme est assez simple : les systmes centraux de la vision en aval de la rŽtine et peut-tre mme des corps genouillŽs externes, premier relai avant le cortex cŽrŽbral,  apprŽcient conjointement dans le temps mais sŽparŽment, la couleur Ç physique È de lĠobjet et lĠambiance colorŽe moyenne du champs visuel dans sa totalitŽ. LĠimpression colorŽe finale de lĠobjet est Žtablie en fonction des deux donnŽes, et elle est donc relativisŽe avec comme consŽquence dĠaccentuer artificiellement la constance de couleur dĠun mme objet sous des Žclairages diffŽrents. La finalitŽ, au moins apparente mais trs vraisemblable, est de favoriser la reconnaissance dĠun mme objet, lors de prŽsentations quelque peu diffŽrentes.

 

                  Ce phŽnomne de constance nĠest pas limitŽ ˆ la couleur. Un objet ne para”t pas changer de taille lorsque nous lĠanalysons ˆ un mtre ou ˆ cinq mtres de lĠÏil. Pourtant la surface de projection sur la rŽtine de lĠobjet considŽrŽ est vingt cinq fois plus petite dans le second cas. De mme, les dŽformations perceptives liŽes ˆ la projection dĠun volume sur un plan sont corrigŽes. Au total, il y a une rŽorganisation des donnŽes sensorielles brutes, en vue dĠune activitŽ Ç dĠextraction de caractŽristiques invariantes des objets extŽrieurs, ˆ partir dĠun flux dĠinformations en perpŽtuel changement. È (N. Boisacq-Schepens et M. Crommelink)

 

                  En dŽfinitive, les mŽcanismes centraux de la perception, dŽveloppŽs notamment entre lĠaire visuelle et les zones prŽfrontales de la conscience, rŽorganisent les donnŽes sensorielles initiales, et intensifient ainsi une impression totalement artificielle de Ç rŽalitŽ en soi È. Cela est assez proche dĠun relevŽ croisŽ puisque deux donnŽes perceptives simultanŽes indŽpendantes sont combinŽes.

 

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                  Au total, le principe de lĠŽnergie spŽcifique de Joanns Muller, combinŽ ˆ la loi du tout ou rien Žtablie par lĠexpŽrimentation neurologique, conditionne totalement lĠŽpistŽmologie. CĠest le vŽritable Ç prolŽgomne ˆ toute mŽtaphysique future È(Emmanuel Kant), celle-ci ne pouvant tre que supposition, sans jamais parvenir ˆ la certitude. Logique et contr™le expŽrimental apprŽcient la cohŽrence interne de lĠensemble des propositions de connaissance, mais ne peuvent aller plus avant.

 

                  Le mythe de la caverne de Platon doit tre repris. Le soleil Žclairant lĠextŽrieur de la caverne ne peut tre quĠinfŽrŽ ˆ partir de lĠanalyse des ombres. Nous sommes condamnŽs ˆ ne pas dŽpasser lĠombre de la rŽalitŽ. Le principe aristotŽlicien repris par Saint Thomas dĠAquin a une valeur absolue. Ce qui ne peut tre reliŽ, directement ou indirectement, aux sensations, ne peut avoir de valeur quĠhypothŽtique sur le plan dĠune connaissance objective.

 

                  Cependant, nous apprenons, notamment gr‰ce au dialogue et ˆ la lecture, ˆ intŽgrer et faire n™tre, lĠexpŽrience construite antŽrieurement par les autres. CĠest le Ç time binding È de Korzybski qui ne peut, ˆ trs long terme quĠaller en croissant, mais une croissance qui est une rŽvision sur des pseudo acquis et des idŽes fausses. CĠest ainsi que lĠexpŽrimentation physique mit en Žvidence des valeurs physiques qui Žchappaient presque totalement ˆ lĠanalyse des sens : lĠŽlectricitŽ, le magnŽtisme, les rayonnements non visibles ou inaudibles. Le Ç principe de correspondance È de la mŽcanique quantique ne fit quĠofficialiser cette conqute essentielle dans la construction dĠune rŽalitŽ. En fait, des Ç instruments È transforment de faon biunivoque, une Žnergie physique non perceptible en une forme accessible aux sens, comme un Ç compteur È, analogique ou digital. Le langage, la pure formalisation mathŽmatique, deviennent le seul moyen de dŽcrire ces aspects nouvellement accessibles de la rŽalitŽ.

 

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La rŽaction circulaire de J.M. Baldwin et lĠautonomie de lĠapprentissage cognitif.

 

                  Au travers du constructivisme radical de Von Glaserfeld, se vulgarise lĠidŽe essentielle que lĠactivitŽ mentale du nourrisson et de lĠenfant, dŽveloppe simultanŽment la connaissance dĠun rŽel extŽrieur et celle dĠune structuration interne. Ce principe est Žvidemment au cÏur de la cl™ture organisationnelle, et permet de comprendre comment un systme clos sur le plan de lĠorganisation, mais recevant nŽanmoins des informations de lĠextŽrieur, peut Žvoluer ˆ partir de sa seule Ç rŽflexion interne È sur ces informations.

 

                  Par ses publications de 1893 ˆ 1906, James Mark Balwin appara”t le pre dĠune telle approche scientifique de la psychologie de lĠenfant. Sa carrire fut malheureusement brisŽe en 1909 par une affaire de mÏurs sans aucun caractre pŽdophile, et qui nĠattirerait aucune attention aujourdĠhui. Bien quĠil y ait un renouveau dĠintŽrt manifeste, Baldwin nĠa ŽtŽ longtemps connu quĠau travers des travaux et publications de Jean Piaget.

 

                  Inversement, les explications du comportement du trs jeune nourrisson fournies par Jean Piaget, dans ce quĠil appelle une rŽaction circulaire primaire, ne me semblent pas avoir la portŽe considŽrable concernant les travaux de cet auteur, portant sur le nourrisson plus ‰gŽ et le petit enfant. Cela me conduit ˆ faire prŽcŽder lĠanalyse de lĠapprentissage cognitif dans un systme Ç cl™turŽ È, en rapportant les expŽriences dĠHanus Papousek, telles quĠelles ont ŽtŽ publiŽes  en 1969, permettant une validation expŽrimentale dĠextrme qualitŽ chez le nourrisson humain de trois mois dĠ‰ge. Ce travail fut effectuŽ 74 ans aprs les premiers exposŽs thŽoriques de Baldwin sur la rŽaction circulaire, 72 ans aprs la premire description avant la lettre du Ç conditionnement opŽrant È par Thorndyke .

 

                  Dans le travail de Papousek, un nourrisson de trois mois, repus mais bien ŽveillŽ, est couchŽ sur un matelas. Sa tte est prise dans une sorte dĠŽtrier souple qui enregistre les dŽplacements de la tte vers la droite ou la gauche. Cet enregistrement est reliŽ ˆ un interrupteur Žlectrique qui, une fois activŽ par une suite dŽfinie de mouvements de la tte, allume une petite lampe.

Le nourrisson en position, explore visuellement son environnement, ce qui entraine t™t ou tard des mouvements latŽraux de la tte, motricitŽ des yeux et motricitŽ de la tte Žtant liŽes ds la naissance. Certaines combinaisons privilŽgiŽes, effectuŽes initialement au hasard, de ces mouvements latŽraux provoquent un court instant lĠallumage de la lampe.

Dans lĠinstant qui suit, le nourrisson sĠengage dans des mouvements de tte rŽpŽtŽs, jusquĠˆ lĠisolement du mouvement ayant provoquŽ lĠallumage de la lampe, et la frŽquence des mouvements de tte diminue alors immŽdiatement.

On modifie ensuite lĠappareillage de telle faon que ce ne soit plus le mouvement dŽterminŽ initialement qui provoque lĠallumage de la lampe, mais un autre mouvement. Ds quĠil constate ce changement par hasard, le nourrisson reprend une exploration systŽmatique jusquĠau contr™le de lĠallumage de la lampe. Il sĠarrte alors.

Le processus de modification du mouvement efficace, peut tre renouvelŽ plusieurs fois.

LĠanalyse de la physionomie du nourrisson durant lĠexpŽrience, dŽmontre que ce dernier nĠest pas directement intŽressŽ par lĠallumage de la lampe, mais bien par la possibilitŽ de contr™ler volontairement cet allumage. ( dans Ç A primer of infant dŽveloppement, T.G.R. Bower, 1977, pg 107-108)

 

                  Peut-tre contraint par lĠidŽologie communiste omniprŽsente dans son pays ˆ lĠŽpoque, Papouzek a commencŽ par Žtudier le conditionnement classique, dont, ds 1937, Konrad Lorenz soulignait pourtant la pauvretŽ explicative dans le dŽveloppement des connaissances.

Papouzek sĠest tournŽ ensuite vers le conditionnement Ç opŽrant È, proposŽ par Thorndyke en 1897, au travers de la Ç loi de lĠeffet È, vŽritable Ç rŽflexion È sur un comportement ou une analyse perceptive, mais, semble-t-il, sans saisir vraiment lĠŽcart considŽrable existant entre conditionnement classique et conditionnement opŽrant.

 

                  En fait, malgrŽ la similitude apparente des mots, le conditionnement classique ou Ç rŽpondant È, nĠa que peu ˆ voir avec le conditionnement Ç opŽrant È beaucoup plus efficace, et traduisant bien davantage un principe dĠautonomie. En revanche, les termes de conditionnement opŽrant introduit par Burrhus Skinner vers 1950, et celui de rŽaction circulaire, dŽveloppŽ par James Baldwin avant dĠtre repris par Jean Piaget, sont , ˆ mon avis, Žquivalents.

 

                  LĠensemble du processus comportemental dŽcrit par Papouzek, et manifestement gŽnŽralisable, contient les points suivants :

 

A) La FinalitŽ de lĠapprentissage.

 

LĠobjet de lĠapprentissage est la construction dĠune signification cognitive  pour toute information venue de lĠextŽrieur, cĠest ˆ dire en lĠoccurrence, de lĠŽclair lumineux. La connaissance acquise est totalement et uniquement relative ˆ lĠindividu qui apprend.

 

B) Le fait surprenant

 

Le plus souvent, lĠactivitŽ dĠapprentissage cognitif autonome est provoquŽe par un ŽvŽnement inattendu pour lĠobservateur, et qui ne sĠintgre pas dans les fluctuations dĠinformation dŽjˆ rŽpertoriŽes. Ces faits surprenants vont de lĠŽclair lumineux du travail de Papouzek, au Ç surprising fact È de la logique abductive de Charles Sanders Pierce qui situe un tel fait ˆ lĠorigine de toute dŽmarche logique. Lˆ encore, cĠest en fonction du seul sujet qui apprend, quĠil est possible de parler de fait surprenant.

 

C) Le rattachement spontanŽ du fait surprenant, ˆ une action quasi simultanŽe du sujet.

 

Ce rattachement est certainement universel, et a ŽtŽ mis en Žvidence par Skinner sur ses pigeons, dans Ç les boites de Skinner È : des grains de blŽ Žtant distribuŽs au hasard, les pigeons maintiennent lĠattitude spontanŽe quĠils assumaient lors de lĠarrivŽe dĠun grain de blŽ. Il nĠy a donc pas ˆ sĠŽtonner que le nourrisson de Papouzek envisage immŽdiatement que sa propre action ait pu gŽnŽrer lĠallumage imprŽvu de la lampe.

 

D) La Ç rŽflexion È sur les consŽquences dĠun essai, nŽgatives ou positives.

 

CĠest la reprise de la loi de lĠeffet, promulguŽe par Thorndyke, mais Žtendue ˆ toutes les tentatives de rŽponses comportementales, quĠelles soient suivies de rŽussite ou dĠŽchec. Le constat dĠŽchec est intŽgrŽ, et retenu pour orienter de nouvelles tentatives.

Ainsi appara”t la Ç circularitŽ È de la dŽmarche dĠapprentissage expliquant son efficacitŽ.

 

E) La qualification subjective de lĠobjet ˆ lĠorigine de lĠapprentissage

 

La petite lampe est certes reconnue perceptivement, mais sur le plan de la connaissance, elle est reliŽe uniquement aux mouvements de tte qui la font sĠallumer.

 

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                  Le travail de Papouzek est donc essentiel, en corrigeant ce que Piaget a dŽcrit sous le terme de rŽaction circulaire primaire. Le point de dŽpart de la Ç rŽflexion È initiale du nourrisson doit tre recherchŽ dans une modification Ç surprenante È des informations venues de lĠextŽrieur, et non uniquement ou principalement, dans une modification du corps propre. Cette correction permet de gŽnŽraliser les propres propos de Piaget : Ç  LĠintelligence ne dŽbute ni par la connaissance du moi ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction, et cĠest en sĠorientant simultanŽment vers les deux p™les de cette interaction quĠelle organise le monde en sĠorganisant elle-mme. È. Je prŽcise que ces propos ont ŽtŽ Žcrits en 1937, et quĠils rŽsument totalement, prs de 40 ans en avance, tout ce qui est contenu dans le concept  de cl™ture organisationnelle.

En 2001, Ernst von Glasenberg a fait remarquer que le terme dĠintelligence, utilisŽ par Piaget ne convient pas parfaitement en langue anglaise, mais je pense quĠil en est de mme en franais. Il serait prŽfŽrable de parler dĠÇ esprit È comme le voudrait von Glasenberg, ou mme pourquoi pas, dĠactivitŽ cŽrŽbrale consciente.

 

                  Par ailleurs, nombre de travaux chez le nourrisson dŽmontrent que ce dernier est sensible ˆ des notions quĠil nĠintgre pas vŽritablement. Il rŽagit par exemple diffŽremment au fait quĠun jouet est prŽsent en un ou trois exemplaires, quĠun trait est ou non refermŽ sur lui-mme. Les acquisitions de lĠenfant de trois ans sont donc pour une large part une Ç rŽflexion È sur les donnŽes de lĠorganisation perceptive innŽe.

Cette Ç rŽflexion È permet ˆ son tour de dŽtailler des objets permanents, puis de les qualifier sur le plan de leur comportement, ce qui fonde les sciences physiques.

Dans ce jeu, le r™le de Ç lĠautre È est essentiel, car les expŽriences faites par un Ç autre moi-mme È de construction neurologique identique, sont directement assimilables.

 

                  Les Žducations, familiale et scolaire, sont indispensables, mais uniquement en offrant des occasions dĠapprendre et en proposant des particularitŽs, sans influences directes sur lĠorganisation interne. Einstein aurait Žcrit : Ç Je nĠai jamais rien appris ˆ mes Žlves, je leur ai simplement fourni lĠoccasion dĠapprendre par eux-mmes È

                  Il est bien Žvident alors que, tant lĠŽpistŽmologie que la psychologie humaine, doivent nŽcessairement appuyer leurs fondements sur la reconnaissance de la cl™ture organisationnelle.

De mme que lĠÏuf se fait lui-mme embryon dans un milieu fermŽ, le nouveau-nŽ se fait adulte pensant et savant, dans une ambiance close sur le plan de lĠorganisation.

 

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Autonomie, rŽalisme philosophique et connaissance intuitive

 

LĠadoption des principes de lĠautonomie et de la cl™ture organisationnelle pose immŽdiatement la question de savoir si la connaissance est ou nĠest pas purement anthropomorphique, cĠest ˆ dire strictement relative au Ç sujet È connaissant, lĠhomme en lĠoccurrence.

 

Cette question encombre la rŽflexion philosophique depuis plus de millŽnaires sous le nom de conflit entre les positions trs arbitrairement dŽnommŽes dĠune part,Ç rŽalistes È ou dĠautre part, Ç empiristesÈ ou Ç nominalistes È.

 

En fait lĠopposition entre les deux types dĠattitude relve dĠun mŽlange de raisonnement logique et de pures croyances qui rend la question insoluble.

Il y a cependant une faon plus accessible dĠaborder la question en adoptant un point de vue Žconomique : le Ç rŽalisme est-il indispensable ˆ lĠanalyse de la connaissance humaine, comme le voulait Platon ?
En ce sens, les arguments sont trs nombreux pour dŽmontrer que le rŽalisme des idŽes nĠest pas du tout une nŽcessitŽ pour analyser la connaissance humaine.

 

Les concepts ont tous une histoire :

 

Les grecs ont fait un magnifique cadeau ˆ lĠHumanitŽ en introduisant les voyelles dans lĠalphabet. Ds lors, le langage Žcrit est devenu un miroir du langage oral, permettant une analyse fine de ce dernier, et surtout de son Žvolution historique.
LĠutilisation des Žpithtes qui peut para”tre abusive chez Homre est manifestement liŽe ˆ la pauvretŽ des concepts abstraits dŽsignant des Ç idŽes È.
Les concepts ont une histoire qui peut tre repŽrŽe, sauf les concepts les plus concrets dŽcrivant lĠenvironnement immŽdiat, qui sont Žvidemment les plus anciens.

La comparaison des dictionnaires au travers des ‰ges dŽmontre un enrichissement continu.

 

De nombreux mots abstraits peuvent dŽsigner des concepts opposŽs.

 

CĠest alors seul le contexte prŽcise le sens. Paul ValŽry a longuement dissertŽ sur ce point dans son Journal.

Je citerai volontiers comme exemple personnel, lĠadjectif Ç rŽaliste È qui peut dŽsigner deux concepts absolument opposŽ : dĠune part, lĠadhŽsion aux thses du rŽalisme platonicien, et dĠautre part une capitulation devant la pression des impŽratifs sociaux.

 

En dŽfinitive, la sensation est donc bien la seule source de connaissance pour lĠintelligence. Il ne faudrait pas pour autant adopter une attitude solipsiste qui nierait la rŽalitŽ. La rŽsistance des relevŽs croisŽs qui s Ôimposent ˆ nous, le dŽmontre. Par ailleurs, le solipsisme est une aberration logique puisque le Ç moi È est ˆ lui seul une rŽalitŽ. La solution qui sĠimpoe ne concerne donc pas lĠexistence dĠune rŽalitŽ qui sĠimpose, et vis ˆ vis de laquelle se dŽfinit lĠautonomie, mais les limites obligŽes dans la prise de conscience de cette rŽalitŽ. Comme Cornelius Castoriadis, nous pouvons cependant affirmer que la rŽalitŽ est fractionnable en aspects particuliers, accessible ˆ la connaissance

 

Mais cĠest surtout la comparaison entre la phylogense et lĠontogense qui apporte des lueurs nouvelles sur la rŽalitŽ.

 

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Autonomie et Constructivisme Radical

 

                  Haeckel fut le premier ˆ Žtablir un parallle entre lĠŽvolution des espces ou phylogense, et le dŽveloppement de lĠindividu, ou ontogense. La position de Haeckel Žtait outrancire mais trs stimulante. CĠest en 1937 que Jean Piaget a commencŽ ˆ parler de Ç construction du rŽel È, en Žvitant, sans doute trs consciemment, de fixer des limites entre une approche psychologique et une approche mŽtaphysique.

                  Piaget a repris la question de la comparaison entre phylogense et ontogense dans lĠouvrage particulirement remarquable que constitue Ç Biologie et Connaissance È. Il Žtait cependant encore trop t™t pour que Piaget puisse profiter de la rŽvolution en gŽnŽtique, que devait constituer la dŽcouverte de lĠADN, remettant ˆ sa vŽritable place, la signification fonctionnelle dĠun gne, faussŽ par lĠapproche mendŽlienne, aussi positive quĠelle fut par de nombreux c™tŽs.

Le gne de GrŽgor Mendel est strictement dŽfini par une  fonction. Cela ˆ conduit les hŽritiers ˆ continuer sur cette voie, y compris toutes les Žlucubrations du freudisme, en attribuant au cerveau ˆ la naissance, un contenu  de nombreuses significations comportementales orientant toute lĠŽvolution psychologique ultŽrieure.

 

                  AujourdĠhui, lĠanalyse de la structure des gnes dŽmontre quĠils sont avant tout des Ç briques È entrant dans la formation de structures plus ou moins complexes, et quĠils ont rarement une signification comportementale directe. Au plus, les gnes peuvent explique plus ou moins directement une Ç propension È antŽrieure,  cĠest ˆ dire une tendance ˆ rŽagir, de faon imprŽvue, plus intensŽment, en nŽgatif ou en positif, que le sujet ne sĠy attendait. Mais la signification ne nait quĠaprs une pratique.

Il faut retenir que la propension appartient en propre ˆ lĠorganisation interne du sujet connaissant, indŽpendamment des particularitŽs de lĠUnivers.

 

                  Au total, la connaissance sĠinclut totalement dans lĠautonomie, liŽe totalement ˆ la constitution et ˆ lĠactivitŽ du sujet autonome : Ç Il ne faut plus considŽrer la connaissance comme la recherche de la reprŽsentation iconique d'une rŽalitŽ ontologique, mais comme la recherche de la manire de se comporter et de penser qui convienne. La connaissance devient alors quelque chose que l'organisme construit dans le but de crŽer de lĠintelligibilitŽ dans le flux de l'expŽrience." (von Glasersfeld, 1981)

 

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Cl™ture organisationnelle et principe de subsidiaritŽ

La notion de cl™ture organisationnelle ne peut prendre sa pleine signification que dans le cadre du principe de subsidiaritŽ.

 

DŽfinition et Historique de la subsidiaritŽ :

 

GŽnŽralisŽ, le principe de subsidiaritŽ consiste ˆ confier une responsabilitŽ ˆ la plus petite unitŽ capable de rŽsoudre une difficultŽ, au sein dĠun systme hiŽrarchisŽ. Il revient donc ˆ reconna”tre lĠautonomie des parties ˆ leur niveau, mais nullement nŽcessairement une prioritŽ de pouvoir. Bien plus, si les unitŽs plus complexes  sont autonomes au mme titre que leurs parties constitutives, lĠexercice du pouvoir est donc nŽcessairement partagŽ.

 

                  La notion de subsidiaritŽ traduit la recherche dĠun Žquilibre des pouvoirs. Elle est surtout connue aujourdĠhui comme mot  d'ordre  de lĠUnion EuropŽenne, mais elle trouve sa vulgarisation dans la doctrine sociale de lĠEglise catholique en Europe, au XIXme sicle.

La RŽvolution franaise avait aboli le grand pouvoir du ClergŽ sous lĠAncien RŽgime. Le Premier Empire, la Restauration, la Monarchie constitutionnelle de Louis Philippe, le Second Empire, furent lĠoccasion dĠune reprise dĠune partie du pouvoir perdu, contre lequel se dressa une opposition dont les noms les plus connus sont Lamenais et Lacordaire.

Le Pape Pie IX, initialement trs ouvert aux idŽes nouvelles, inversa son attitude aprs les excs des rŽvolutions libŽrales qui envahirent lĠEurope en 1848, devenant rŽactionnaire. Le Pape LŽon XIII qui lui succŽda, fut beaucoup plus ouvert, formula une doctrine sociale de lĠEglise, et cĠest dans ce cadre  quĠil Žvoqua le principe de subsidiaritŽ. Cela se traduisit notamment par une tentative dĠinclure les la•cs dans lĠapproche thŽologique. Cela du reste, ne fut pas un succs car LŽon  XIII choisit comme modle Saint Thomas dĠAquin, probablement le  plus grand penseur de son temps, mais mal adaptŽ aux rŽvolutions empiristes et scientifiques du XXme sicle.

Ce choix de LŽon XIIl nĠaltre cependant nullement lĠimportance du principe de subsidiaritŽ qui se prte notamment tout ˆ fait aux applications biologiques.

Par ailleurs, ce nĠest pas, ˆ mon avis, un hasard que le principe de subsidiaritŽ se soit dŽveloppŽ dans un cadre dĠŽglise, car il est au cÏur de la doctrine chrŽtienne.

 

La gŽnŽralisation de la disposition hiŽrarchisŽe :

 

                  SignalŽe par Herbert Simon, reprise par Arthur Koestler, la disposition hiŽrarchique apparait aujourdĠhui, ˆ la fois universelle et bŽnŽfique en Biologie. Claude Bernard nĠen parle pas, vraisemblablement parce que le principe en Žtait encore mal connu ˆ son Žpoque.

Fait capital, les ŽlŽments constitutifs les plus simples apparaissent dŽjˆ comme clos sur le plan comportemental, au sein dĠun environnement proche constituŽ par un systme, lui-mme clos. Il y a donc bien ouverture au principe de subsidiaritŽ.

 

Au bas de lĠŽchelle, on trouve :

 

- les protŽines complexes, assemblage particulier dĠacides aminŽs, Žtabli linŽairement par la lecture dĠun segment dĠADN. Ds la fin de la lecture, la protŽine acquiert spontanŽment une forme fonctionnelle qui lui est propre, assurant ses propriŽtŽs comportementales, significatives seulement pour le milieu cellulaire auquel elle appartient, et retrouvant par elle-mme sa forme aprs dŽformation par les mouvements molŽculaires.

 

- ˆ un Žchelon immŽdiatement supŽrieur, le cas de la mitochondrie est particulirement illustratif.

Presque tous les organismes biologiques complexes possdent ce type dĠorganelle intracellulaire, parfois prŽsent ˆ plusieurs dizaines de millier dĠexemplaires pour une seule cellule. Ce sont les seules mitochondries, qui confrent ˆ la cellule, la possibilitŽ hautement profitable, d'une dŽgradation des sources d'Žnergie en prŽsence d'oxygne. Le rendement ŽnergŽtique est ˆ peu prs dix fois supŽrieur ˆ celui d'une dŽgradation sans oxygne. Or la mitochondrie est un organisme autonome qui prŽsente ses propres capacitŽs de duplication. Il est admis gŽnŽralement que la mitochondrie est une ancienne bactŽrie entrŽe en symbiose avec un organisme monocellulaire procaryote plus complexe, mais ne disposant pas de la capacitŽ d'utiliser l'oxygne. Les consŽquences de cette symbiose ont ŽtŽ hautement profitables aux deux organismes. La mitochondrie a acquis un espoir de survie beaucoup plus ŽlevŽ ˆ l'intŽrieur d'une cellule. Inversement, jamais les cellules eucaryotes n'auraient pu donner naissances aux organismes multicellulaires complexes sans le bŽnŽfice apportŽ par les mitochondries.

 

- ˆ un Žchelon moyen, se trouve la cellule :

Elle apparait toute montŽe par des organismes antŽrieurs parents, lors de la fŽcondation, et assure par sa multiplication, plusieurs centaines de milliard de fois chez lĠhomme, la constitution dĠun tre vivant autonome. La cellule constitue elle-mme un organisme autonome.

 

Conflit ou synergie ?

 

Dans son analyse des relations entre milieu intŽrieur et milieu extŽrieur, Claude Bernard insiste sur lĠaspect de conflit. Il a en grande partie raison, mais il aurait dž tout autant insister sur lĠaspect de synergie quĠil pouvait dŽjˆ conna”tre, par exemple dans la fonction glycogŽnique du foie, quĠil avait tout particulirement ŽtudiŽe.

 

En fait, le fonctionnent global dĠun organisme dŽpend totalement du fonctionnement de ses parties.

 

Le principe de subsidiaritŽ appara”t donc spontanŽ et omniprŽsent. Cela nĠallait pas de soi, et sĠexplique par lĠŽvolution biologique, conservant de prŽfŽrence les bonnes solutions dŽcouvertes par t‰tonnement. Les lignŽes de grosses cellules parasitŽes par des mitochondries avaient plus de chance de durer.

Il me semble trs important de considŽrer que lĠharmonisation des hiŽrarchies biologiques est le rŽsultat dĠune histoire et dĠune conqute.

LĠŽtude bien comprise des niveaux dĠorganisation ŽlŽmentaires, nĠapporte que des exemples destinŽs ˆ prŽciser comment peut tre aborder lĠŽchelon dĠorganisation le plus ŽlevŽ, celui de lĠhomme au sein des diffŽrents groupes sociaux auxquels il appartient par nŽcessitŽ, et o le principe de subsidiaritŽ  nĠest pas dĠapplication Žvidente, pas encore dirait un grand optimiste.

 

Le principe de subsidiaritŽ dans lĠorganisation sociale.

 

La hiŽrarchisation va de soi dans lĠorganisation sociale, mais cela nĠimplique nullement quĠelle soit spontanŽment optimisŽe. Une meilleure application du principe de subsidiaritŽ est probablement un moyen essentiel dĠŽvolution positive :

 

- sur le plan familial, deux aspects sont essentiels :

celui du partage dĠautoritŽ entre chacun de deux parents, et des enfants en train de construire trs progressivement leur autonomie sociale

celui de la gestion des biens propres dĠune Žpouse par lĠŽpouse, lĠorganisation patrimoniale traditionnelle, centrŽe sur le mari Žtant heureusement en train de dispara”tre.

 

- sur le plan militaire, la nŽcessitŽ est Žvidente, mais lĠintŽrt dĠune approche est limitŽ dans la conjoncture actuelle, du moins en France.

 

- sur le plan de lĠorganisation du travail collectif, cĠest le point capital.

 

SubsidiaritŽ et patrimoine.

 

Je ne suis pas arrivŽ ˆ remonter lĠŽtymologie de patrimoine au delˆ du mot latin patrimonium, si ce nĠest que la racine Ç pre È y est indiscutablement prŽsente. Il est probable que le capitulaire de Quierzy en 877, assurant une transmission de pre ˆ fils du bien de production, correspondait ˆ une attitude bien plus ancienne, et il nĠest pas Žtonnant quĠelle ait envahi les Ç codes È jusquĠˆ une pŽriode trs rŽcente.

AujourdĠhui, ce privilge de principe du pre, tend ˆ perdre toute justification mais laisse un vide juridique partiel, et promulgue la nŽcessitŽ de mieux dŽfinir les droits rŽciproques du pre et de la mre dans la gestion patrimoniale.

 

SubsidiaritŽ et organisation collective du travail et de la production

 

Karl Marx est bien connu pour ses critiques sur lĠorganisation collective du travail et de la production. Il part de points corrects la plupart du temps, mais ses propos  sont sans grand intŽrt car il nĠy a aucune confrontation avec lĠintŽrt et la nŽcessitŽ de cette organisation collective. Georges Marchais, communiste, avait senti la nŽcessitŽ de corriger le tir, et parlŽ de bŽnŽfices Ç exagŽrŽs È du Capital, reconnaissant implicitement la nŽcessitŽ de ce dernier.

 

Or, considŽrons ˆ lĠinverse, la RŽpublique DŽmocratique du Congo, pays thŽoriquement trs fertile et parfaitement arrosŽ. Environ la moitiŽ de sa population de 50 millions dĠhabitants, vit en situation dĠagriculture de subsistance, sans pratiquement aucune organisation collective extra-familiale du travail. Or le revenu annuel mŽdian par habitant, en terme de paritŽ de pouvoir dĠachat, tourne autour de 150 dollars, soit environ 200 fois moins que le franais mŽdian, et 50 fois moins que le terrien mŽdian. Encore faudrait-il prendre en compte que nombre des Ç outils È utilisŽs en agriculture de subsistance, sont acquis pour un prix qui impose une fabrication en organisation collective.

LĠimportance de lĠŽmigration vers Kinshasa et les pays europŽens indiquent que ce statut dĠagriculteur indŽpendant, ne provoque pas lĠenthousiasme pour les pris en compte.

 

Il est donc Žvident que lĠorganisation collective, malgrŽ ses dŽfauts, est trs hautement positive. Cela nĠexclut Žvidemment pas lĠintŽrt de tenter de corriger ces dŽfauts.

 

Je pense que lĠapplication du principe de subsidiaritŽ est la voie royale pour cette correction.

 

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Conclusions : les limites du libre arbitre et la notion de mŽrite et dŽmŽrite personnels

 

Toutes les rŽflexions prŽcŽdentes se voudraient dŽmontrer la validitŽ des notions de Cl™ture et dĠAutonomie sur le plan dĠune approche rationnelle, mais elles ne rŽsolvent pas vŽritablement la question du libre arbitre qui demeure un problme mŽtaphysique, certes essentiel mais strictement mŽtaphysique : lĠhomme peut-il tre dŽmontrŽ pleinement responsable de ses choix de conduite en situation dŽlicate ?

 

                  LĠautonomie internalise en quelque sorte la dŽcision en la basant sur des motifs internes et personnels, ˆ lĠabri des pressions dĠorigine externe, ce qui dŽfinit lĠautonomie, mais cela nĠexclut nullement le fait que le choix de conduite retenu puisse tre Ç dŽterminŽ È par des rgles internes propres ˆ chaque individu.

 

                  Scientifiquement, il sĠensuit un problme insoluble au mme titre que de savoir si lĠespace est infini ou bornŽ. Logiquement, cela conduit ˆ diffŽrentier deux aspects distincts de lĠautonomie, lĠun scientifique, lĠautre mŽtaphysique.

Il appara”t donc des options dans la rŽponse ˆ la question, qui ont une signification sur le plan mŽtaphysique et religieux, mais non scientifique.


                  Historiquement, la situation est au cÏur de lĠopposition entre PŽlage et Saint Augustin au dŽbut du IVme sicle. Elle rŽapparait rŽgulirement dans les thses ultŽrieures de prŽdestination, notamment chez Luther, et surtout Calvin. Je souligne quĠil sĠagit dĠune question strictement mŽtaphysique, au sens donnŽ par Pierre Duhem, cĠest ˆ dire venant aprs la science et en dehors dĠelle. Cette question nĠa de signification quĠaprs et en fonction, dĠune adhŽsion de principe ˆ des rŽalitŽs supranaturelles ou leur refus. LĠengagement de la Ç Foi È conserve donc toute sa signification.

                  Cependant, cela nĠexclut nullement le principe dĠutilitŽ, posŽ notamment brillamment par William James, et le plus souvent, mal compris.

                  Il est ainsi Ç utile È pour le repos de lĠ‰me, dĠagir en dŽcidant que nous sommes ma”tre de nos dŽcisions. De mme et sur le seul plan des Žquilibres sociaux et collectifs, nĠen dŽplaise ˆ Diderot, qui semble avoir oubliŽ que le prŽcepte de Castiglione Ç Perdnando troppo a qui falla, si fa inglustizia a chi non falla È, (En pardonnant trop ˆ qui a failli, on fait injustice ˆ qui nĠa pas failli), la sanction dĠun mis en cause convaincu sans une impossible certitude absolue, est Ç utile È.