Psychanalyse et Neurosciences

 

"La biologie est le domaine des possibilités indéfinies, une science dont nous sommes en droit d'attendre les explications les plus étonnantes, sans que nous puissions prévoir les réponses qu'elle pourra donner dans quelques années aux questions que nous nous posons. Ces réponses seront peut-être telles que tout notre édifice artificiel d'hypothèses s'écroulera comme un château de cartes."

 

                                                                                                         Sigmund Freud, 1920

                                                                                                     

 

"La Science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l'erreur par les pouvoirs, la grande presse et les valeurs d'ordre."

 

                                       Roland Barthes 1957

 

 

"Un savoir qui se contente de toujours commencer, ça n'arrive à rien. C'est bien pour ça que je ne parle    pas de la psychanalyse dans les meilleurs termes. Commencer à savoir pour n'y pas arriver, va sans doute assez bien avec mon manque d'espoir...surtout quand on fait un métier qu'un jour j'ai qualifié d'escroquerie."

 

                                       Jacques Lacan 1977-1981

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                           

 

Le XXème siècle, pour de multiples raisons, aura été profondément marqué par l'extension de la théorie psychanalytique. Un repli se dessine dans la plupart des pays, mais pas en France. Tobie Nathan pense qu'il faut trouver l'explication chez Jacques Lacan dont l'influence n'a guère franchi les limites de l'hexagone, mais qui a francisé la psychanalyse, en en faisant la sauvegarde d'un soi-disant patrimoine culturel français contre l'invasion du prêt à penser nord-américain.

 

De nombreuses mises au point sur la validité de la psychanalyse, ont été publiées en 2006, à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Freud. Pour ou contre, les arguments présentés étaient peu concluants. En fait, l'important est de commencer par se reporter à des aspects historiques. Les grandes lignes de la psychanalyse ont été tracées entre 1895 et 1905, et reposaient sur les connaissances biologiques de l'époque, que Freud connaissait parfaitement. Mais la biologie a fait des progrès considérables et continues, après 1905 ou même après 1920. Les neurosciences ont connu l'essentiel de leur développement depuis 1950. Le décalage d'inspiration est donc manifeste.

 

 Il y aurait un moyen facile d'échapper implicitement à toute confrontation entre psychanalyse et neurosciences, en affirmant que "tout l'esprit n'est pas dans le cerveau", ce qui est un postulat dualiste esprit-cerveau qui ouvre tous les possibles. Tel n'était cependant pas l'avis de Freud lui-même comme le rappelle la citation qui introduit ce texte. C'est en suivant cette opinion anti-dualiste du maître lui-même, et en soulignant les difficultés considérables auxquelles se heurtent nécessairement les conceptions dualistes, qu'est proposée une confrontation renouvelée entre psychanalyse et biologie ou neuro-sciences.

 

Quatre points paraissent particulièrement cruciaux :

- les mécanismes de formation du cerveau durant la période pré-natale, ce qui permet d'en déduire l'état des éventuelles significations présentes à la naissance et la façon dont le tout jeune nourrisson peut assimiler son environnement physique et social.

- les mécanismes de genèse des perceptions à partir des sensations élémentaires

- les mécanismes mis en jeu lors de la mémorisation et la remémoration.

- le réalisme platonicien implicite de la psychanalyse.

Ces quatre  points interviennent en interaction.

 

------------------------

 

Le point A : La formation du cerveau

.

          En 1970, François Jacob précisait déjà que l'information A.D.N. contenue dans l'œuf initial, ne pouvait en aucun cas expliquer à elle seule, l'organisation de l'individu à la naissance, à plus forte raison un contenu significatif qui ne peut apparaître qu'après l'organisation. Les travaux ultérieurs n'ont fait que confirmer ce point de vue. La quasi-totalité des gènes présents dans l'œuf, correspondent à des fonctions universelles pour les organismes biologiques. Par ailleurs, le gène n'est qu'un "mot" qui n'acquiert une fonction qu'en rapport avec la "phrase" qui le contient.(voir la génétique). Le gain d'ordre durant le développement prénatal, lors du passage de l'œuf initial au nouveau-né, est donc considérable.

 

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ce gain d'ordre :

- certaines se résument à des influences extra-utérines. En fait, il est facile de démontrer qu'il n'y a pas sur ce plan, de différence entre le développement vivipare et ovipare. Or, l'absence de tout organisateur extérieur est manifeste chez l'ovipare.

- toutes les hypothèses de préforme ou de déroulement d'un programme préalable, sont invalidées dans le sens prévu par François Jacob. Cela enlève tout crédit à une explication par une maturation indépendante de l'expérience.

      

         En fait, les explications qui tiennent le mieux la rampe aujourd'hui, sont celles qui rattachent le gain d'ordre uniquement à la mémorisation d'une "réflexion" du sujet sur son activité propre durant le développement. C'est l'abstraction réfléchissante de Jean Piaget ou "the activity-dependant development" des auteurs anglo-saxons. Il s'agit de l'application au développement pré-natal d'un mécanisme très général : un organisme est perpétuellement soumis à des déséquilibres par les fluctuations de l'environnement, ce qui impose en retour un rééquilibrage. La mémorisation et l'incorporation des conduites internes ayant rétabli l'équilibre, assure le gain d'ordre.

 

         Au stade de l'œuf, les risques de déséquilibre liés aux modifications induites par le milieu ambiant extérieur à l'œuf, sont réduits au minimum. Ce sont donc les interactions entre sous-systèmes qui provoquent déséquilibres et réajustements. Les seules significations acquises résultent de ces interactions. Aucun élément du milieu extérieur, physique ou social, ne peut intervenir pour modifier le développement, et y laisser une trace.

Le cerveau à la naissance ne peut donc contenir aucune donnée concernant une relation avec le milieu ambiant, physique ou social, qui aurait été acquises durant le développement pré-natal. Comme par ailleurs, l'information contenue dans l'œuf initial est des plus réduites, il ne peut y avoir, avant une relation avec le milieu ambiant, aucune orientation comportementale réglant les relations avec ce milieu. Il n'est notamment possible d'accorder le moindre crédit d'une présence à la naissance, ni de "fantasmes originaires", ni d'un "inconscient langagier". En un mot, le cerveau ne contient à la naissance aucune signification concernant son environnement. Ces significations doivent être toutes apprises. Le constructivisme radical n'est donc plus aujourd'hui une simple hypothèse. C'est le point le plus crucial à opposer à la psychanalyse telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui.

 

Les conséquences vont extrêmement loin, car c'est toute la conception de la sexualité qui est en cause. Ce n'est pas seulement la sexualité infantile omniprésente et conditionnant ensuite toute la vie mentale. C'est aussi la sexualité centrée sur le désir de la mère et la haine du père, préalable à toute expérience vécue.

 

          Mais il y a plus. Même si le nourrisson commence à édifier des significations dès les premiers jours après la naissance, il ne peut le faire qu'à partir de son organisation cérébrale présente, dont le fonctionnement est encore rudimentaire :

- un effet de maturation indépendant de l'expérience n'a pas plus de valeur explicative durant le développement des premiers mois que lors du développement prénatal.

- les significations ne peuvent être acquises que par le jeu de mécanismes qui évoluent également. Le progrès ne peut donc s'effectuer que par bouclage rétroactif des expériences nouvelles sur les mécanismes existants. La mise en jeu de ces mécanismes devant un facteur de déséquilibre, associe des significations au déséquilibre et à sa correction. De plus, l'accumulation de ces significations fait évoluer positivement les mécanismes en jeu par réorganisation. Si la réorganisation est explosive, une nouvelle étape repérable se dessine. (voir Fonction dissipative et Mandelbrot)

 

         Il n'y a donc aucune raison de rejeter a priori les "stades" universels ou les milestones, notamment piagétiens, définissant durant l'enfance, l'évolution des mécanismes permettant la multiplication, l'enrichissement et la confrontation des significations. Les stades piagétiens sont les mieux "expliqués" mais les concordances avec les échelles de Gesell, Bayley, Griffiths et autres, qui bénéficient d'une technique plus rigoureuse, sont beaucoup plus marquées que les différences. Ce point de vue évolutif est même accepté par certains psychanalystes. Ainsi René Spitz pense que l'image maternelle n'est constituée qu'à partir de 8 mois d'âge post-natal.

 

         Mais plus encore, il est possible de décrire raisonnablement le développement de la communication langagière au niveau conceptuel. Si l'inconscient langagier est réfuté, et il ne peut en être autrement, le langage doit être nécessairement construit, comme aurait pu le dire La Palisse. Or, si les travaux initiés par P. Eimas en 1971 ont démontré que l'apprentissage du langage débutait dès la naissance, ils ont également souligné que la communication langagière est uniquement mélodique et non conceptuelle, jusqu'à 18 mois. Le début de la compréhension du langage conceptuel se fait entre 18 et 20 mois, avec une moyenne de 120 mots compris à 21 mois. C'est un tout début. Seuls les mots désignant des objets dans leur totalité sont utilisés. Les verbes et les adjectifs qualificatifs sont d'apparition nettement plus tardive. La compréhension et la manipulation interne du langage d'autrui, sont donc des plus réduites jusqu'à 3 ou 4 ans.

 

         Une autre évolution fondamentale pour organiser les données d'une mémorisation sous forme de souvenir biographique, est la représentation dans l'espace et le temps, qui demeure rudimentaire jusqu'à 5 ou 6 ans en moyenne. L'enfant brillant de 4 ans classe correctement deux évènements en avant/après, mais pas trois événements. Or la représentation spatio-temporelle de qualité est notamment indispensable pour faire la différence entre qui "est là", qui "n'est pas là actuellement", qui "va revenir", qui "ne reviendra jamais plus", et établir ainsi une compréhension de la mort. De même, la compréhension de l'acte intentionnel, qui n'apparaît guère avant 7 ans, est indispensable pour générer un sentiment de culpabilité.

 

          Il me paraît donc possible d'illustrer ces points de vue, en soulignant le biais introduit par Freud, dans un exemple concret. Sigmund  Freud a affirmé ainsi qu'il "se souvenait" des sentiments de culpabilité qu'il avait ressentis au décès de son frère Julius Freud, car la jalousie l'avait conduit à souhaiter ce décès. Or Sigmund avait 23 mois au décès de Julius. Le sentiment représenté de jalousie peut être à la rigueur accepté, mais certainement pas une notion complexe de culpabilité, de désir de mort et même de mort tout court. En fait, nous sommes donc en présence d’un souvenir « auto-induit ». Sigmund n'a vraisemblablement construit ces sentiments que beaucoup plus tard, sur la révélation du décès de Julius par ses parents, et peut-être quelques rudiments de mémorisation sous forme eïdétique. Mais, parallèlement, il a « oublié » comment et quand, il avait construit ce sentiment rétrospectif de jalousie.

 

          Il faut cependant prendre garde qu'il y a un risque d’erreur lorsqu’il est fait appel aux concepts de construction ou d'émergence.

Le terme d'émergence de l'esprit notamment, formulé par Bunge, prête à confusion. Les mécanismes cérébraux fondamentaux qui font émerger "l'esprit", sont pratiquement présents à la naissance, et d'emblée capables de construire des significations. Ce sont les systèmes de signification qui émergent, et non le sujet lui-même. L'œuf se comporte déjà comme un sujet.

A condition de n'y voir aucune homologie, une comparaison peut être faite avec un ordinateur neuf, sorti d'usine, qui ne contient aucune signification, mais dont le mécanisme "hardware" de fonctionnement n'évolue pas ultérieurement. Une différence fondamentale entre le cerveau et l'ordinateur, tient au fait que l'ordinateur reçoit les significations que lui impose l'informaticien, notamment par un système d'exploitation, alors que le cerveau dérive lui-même les significations à partir de son activité au contact du milieu ambiant.

 

------------------------------

 

Le Point B : La genèse des perceptions

 

          "Le neurone ne dit pas quoi."  Quel que soit l'excitant, la réponse d'un neurone ne varie pas lorsqu'il répond. Cette règle universelle s'applique évidemment aux neurones correspondant aux terminaisons sensorielles. Autrement dit; une terminaison sensorielle devant un événement, ne fournit qu'un seul bit d'information par unité de temps; elle répond pleinement ou ne répond pas tout. En revanche, les neurones sensoriels réagissent différemment devant le même événement en fonction de leur emplacement sur le corps et de leur spécificité.

 

          C'est donc la seule confrontation entre quelques 107 ou 108 terminaisons sensorielles qui génère une perception. Mais la computation de cette confrontation serait impossible dans l'instant, compte-tenu de la longue constante de temps du fonctionnement neuronique. C'est un circuit cérébral préexistant, immédiatement fonctionnel à la naissance, qui génère les perceptions et assure le calcul en parallèle, lui imprimant ses caractéristiques propres. La perception  est donc relative aux propriétés cérébrales : "Nous pouvons observer et voir ce qui se passe dans notre tête, et nous ne pouvons observer ni voir rien d'autre. Le ciel étoilé que nous fait connaître la sensation visuelle est à l'intérieur de nous. Le ciel étoilé auquel nous croyons est inféré.(B. Russell)."

 

         Si les perceptions existent dès la naissance, elles n'ont pas de signification d'emblée. Elles ne permettent initialement que la reconnaissance et la distinction : reconnaissance qu'une perception nouvelle est identique à une perception antérieure, distinction entre deux perceptions différentes. C'est le comportement qui établit une signification en mémorisant un lien entre une perception et une conduite : lien avec une autre perception au sein d'une même conduite, ou lien avec une réponse motrice.

 

          La signification d'une perception se construit donc progressivement, suivant l'enrichissement des conduites apprises. Lorsque le langage apparaît et s'enrichit, la signification des perceptions reconnues s'enrichit d'un contenu culturel. Mais ce contenu n'est fait que d'autres expériences individuelles antérieures par autrui. Le sens de toute perception est donc indissolublement lié aux mécanismes cérébraux, mécanismes de la genèse perceptive et mécanisme de la mémorisation.

 

         La conséquence sur le sens des "choses" derrière une perception,  varie selon qu'il s'agit d'une "chose" usuelle, ou d'une chose hypothétique, née uniquement d'une activité représentative :

 

- dans le premier cas, se pose simplement le problème de la distinction entre "noumène" et "phénomène" selon les termes créés par Kant. "Le sens commun  estime avec raison  qu'il faut attribuer la plupart de nos perceptions à des causes  qui agissent de l'extérieur sur nos corps.  Il ne croit pas que la chambre où nous sommes assis cesse d'exister dès que nous fermons les yeux ou allons nous coucher.  Il ne croit pas que notre femme ou nos enfants sont de purs produits de notre imagination. En revanche, le sens commun a tort lorsqu'il suppose que les objets ressemblent intrinsèquement aux perceptions qu'ils causent (B.Russell)."

Nous sommes en droit de supposer qu'il y a un "être" (esse ou noumène) derrière tout "paraître"(percipere ou phénomène), mais à la condition de reconnaître notre incapacité à atteindre cet esse par la connaissance, et plus encore de ne pas considérer que le percipere est identique à l'esse.

 

- dans le second cas,  un lien contraignant de dépendance est introduit entre plusieurs perceptions plus élémentaires. Les liens de ressemblance et d'appartenance sont sans doute les premiers à apparaître et demeures essentiels : a) ressemblance entre deux "chiens" concrets pour créer la classe virtuelle « chien », b) appartenance comme "la robe de Maman".

Ces liens sont initialement hypothétiques et doivent être confirmés par l'usage; bien que le jeune enfant n'ait évidemment aucune idée qu'il pose ainsi des hypothèses.

Le chemin ainsi ouvert, peut se compliquer à l'infini. Les représentations complexes dérivent de représentations élémentaires comme le voulait Gassendi mais il apparaît de plus, des emboîtements hiérarchiques pas toujours évidents. Les représentations complexes ne sont donc rien d'autre que des constructions résumant des données d'expérience (voir hypothèses et connaissance). Le "big bang" n'a aucune réalité nécessaire, et résume simplement de façon imagée, toutes les expériences que l'humanité a accumulées en astronomie.

 

          La "réalité" que rencontre le très jeune enfant, n'est donc pas une réalité "en soi" (per se) qui s'impose d'elle-même. C'est un vécu, marqué autant par les particularités des mécanismes cérébraux, que par les propriétés supposées de l'environnement. Le monde perçu est en quelque sorte une hypothèse sur un monde réel, confortée par une réflexion sur le résultat des actions sur le monde.  Ces actions renvoient à des mécanismes qui évoluent en se développant, et chaque étape nouvelle remet en cause l'appréciation de la réalité et des significations acquises durant l'étape précédente. Piaget et Inhelder ont démontré expérimentalement qu'un délai de six mois chez l'enfant de 5/6 ans, est suffisant pour faire évoluer positivement la qualité d'un rappel. Ce qui est mémorisé et ensuite "rappelé" dans le souvenir, est l'activité cérébrale au contact de l'environnement. Supposer, comme le fait la psychanalyse, que le jeune enfant perçoit son environnement social ou physique, de façon proche de celle du psychanalyste adulte, est donc une absurdité. L'enfance précisée par une cure psychanalytique, didactique ou non, n'est pas une enfance réelle, ni même une enfance reconstruite, mais une enfance artificiellement construite de toutes pièces, ce qui explique sa prégnance toute particulière pour quiconque s'est soumis à une cure.

 

           Il faut noter qu'il y a un bouclage entre les effets du point A et ceux du point B, qui sont indissociables. Les significations concernant l'environnement ne peuvent être présentes à la naissance en raison du point A, et elles ne peuvent être construites rapidement et définitivement après la naissance en raison du point B.

 

--------------

 

Le point C : Mémoire et inconscient

 

          En général, les psychanalystes ouverts aux neurosciences, ne sont guère empressés pour décrire de façon précise, les points de neurosciences qu'ils intègrent. Quand par hasard, ils le font, comme François Ansermet ou Mark Solms, le résultat n'est pas enthousiasmant.

 

         Il faut donc  préciser à leur place, les particularités qu'ils accordent implicitement à la mémoire et à l'inconscient, quitte à provoquer des réactions de refus en retour, ce que je souhaite :

- pour la psychanalyse, la mémorisation du vécu est spontanée, porte sur la totalité du vécu conçu « en soi », donc univoque. Seul le rappel pose problème. Une censure et le refoulement peuvent interdire à la conscience, des souvenirs jugés dangereux pour l'équilibre mental, mais qui restent présents "quelque part".

-  la théorie psychanalytique est fort peu précise sur ce qui peut différencier, sur un plan biologique, la mémoire consciente et la mémoire inconsciente. Elle n'envisage pas non plus quelle structure cérébrale assure la censure et le refoulement, créant la différence entre souvenirs inconscients, préconscients ou conscients.

- l'inconscient est "dynamique, topique et économique", bien que Freud soit revenu quelque peu en arrière sur le second point. L'inconscient combine des désirs établis sur les "fantasmes originaires" et des souvenirs interdits reliés à ces désirs.

- Lacan introduit une profonde modification sur la nature de l'inconscient, "structuré comme un langage", mais semble accepter le point de vue freudien concernant les mécanismes de la mémoire.

 

Or, il est manifeste que les neurosciences n'apportent nullement leur caution aux approches psychanalytiques de la mémoire et de l'inconscient.

 

Condamnation de "l'hypermnésie freudienne".

 

Le terme d'hypermnésie est le plus souvent utilisé aujourd'hui pour caractériser des capacités extraordinaires de fixation et rappel mnésiques. Il n'y a cependant pas d'autres termes que celui d'hypermnésie, pour désigner la capacité d'une mémorisation du vécu, sans variation subjective et sans limite, implicitement postulée par la psychanalyse.

Si on aborde logiquement la question, il y a peu de différence entre l'activité cérébrale au contact du vécu présent, et l'activité représentative ultérieure, faisant resurgir un passé différent du présent. C'est donc pour la psychanalyse, tout cela qui devrait être l'objet d'une fixation mnésique, avec des emboîtements de type "poupée russe" : Je me souviens, que tel jour, je me souvenais que tel jour je me souvenais que tel jour…..". Cela est manifestement impossible, et même d'extrêmement loin. Seule, une part infime de l'activité cérébrale peut être mémorisée.

Il n'y a pas lieu de détailler les raisons qui sont exposées ailleurs (voir Nature de la mémoire), mais il faut retenir les conséquences.

 

1) La sélection des souvenirs

 

Une mémoire du vécu qui ne va pas de soi, postule une possibilité d'absence complète de fixation mnésique de longue durée, d'une fraction très importante et même largement majoritaire, de l'activité cérébrale réagissant aux données d'environnement. Comment alors faire la différence entre une non-fixation et une censure pour expliquer qu'un vécu certain ne puisse être évoqué consciemment ?

La seule réponse possible est que l'activité cérébrale  est à la fois juge et partie, décidant elle-même ce qui, dans sa propre activité, doit être mémorisé. Ce point de vue est largement argumenté par l'approche expérimentale, en ce qui concerne une analyse consciente. Mais se pose alors la question de savoir comment peut procéder le nouveau-né puisque le point A, traité plus haut,  nous dit que le cerveau à la naissance est vide de toute signification, donc de toute capacité d'un jugement complexe sur les particularités du vécu.

 

          Un bon point de départ pourrait être trouvé chez  Laplanche et Pontalis. Ces auteurs condamnent, non sans raison, la position de Freud qui considérait que les fantasmes originaires sont présents à la naissance par héritage transmis de la "scène primitive". Les auteurs proposent à la place, la thèse d'une acquisition progressive par le nourrisson qui serait égale pour tous, car le vécu serait identique pour tous. Cela ne fait que repousser le problème d'un cran puisque la capacité de construction du nourrisson n'est nullement expliquée. Aucun modèle n'est présenté par les deux auteurs,  alors que parallèlement, le constructivisme radical, faisant précéder la capacité d'analyse des relations socio-affective par la mise en place d'un système très général d'acquisition des significations, a manifestement ses lettres de noblesse. N'importe quelle thèse raisonnable qui expliquerait une capacité mnésique sélective chez le jeune enfant pour tout le vécu comparable à la scène primitive, serait intéressante, mais encore faudrait-il qu'elle soit conciliable avec les données des neurosciences.

 

          Par ailleurs; il ne faut pas oublier que ce qui est mémorisé et ensuite "rappelé" dans le souvenir, n'est pas un événement en soi, mais l'activité cérébrale au contact de l'environnement durant cet événement. Or cette activité cérébrale traduit la façon dont cet événement est intégré, ce qui renvoie aux mécanismes de perception et à leur niveau d'évolution. Il y a donc là encore un bouclage, cette fois-ci entre les conséquences du point B et celles du point C.

 

2) Les particularités de l'oubli

 

On comprendra aisément que l'analyse ci dessus conduit à considérer deux aspects à l'oubli :

- ce qui a été fixé dans la mémoire à long terme, et qui disparaît par la suite

- ce qui a été vécu dans la mémoire de travail, mais qui n'a jamais été fixé dans la mémoire à long terme.

C'est ce second point qui est nouveau et essentiel.

 

De très nombreux exemples démontrent à l'évidence que le résultat d'un apprentissage est beaucoup mieux fixé dans la mémoire que les circonstances d'acquisition. Je peux donner immédiatement les différentes significations du mot "porte", tout en étant incapable d'évoquer comment, quand et où, j'ai appris ces significations. Je mets facilement en pratique le mécanisme de la division, beaucoup plus difficilement sinon pas du tout, comment, quand et où j'ai appris ce mécanisme.

 

Ce point est fondamental dans l'approche de l'inconscient. Certains aspects, notamment les "résistances inconscientes" s'expliquent d'elles-mêmes. Si nous avons mémorisé des règles de conduite, notamment avec un fort contenu socio-affectif, nous avons le plus souvent fait preuve d'une généralisation allant au de-là des expériences individuelles que nous n'avons pas retenues. Nous avons "oublié" tout ou partie des circonstances d'acquisition. Il y a alors de fortes chances que nous appliquions ultérieurement cette conduite à tort, ou inversement que nous hésitions, voir refusions cette règle de conduite dans des applications qui apparaissaient pourtant tout indiquées à un tiers.

 

Les explications qui font appel à "l'amnésie infantile" n'ont donc aucun fondement biologique, et ne sont en rien nécessaires pour expliquer le fonctionnement mental du sujet plus âgé.

 

L'inconscient

 

Pour beaucoup, la notion d'inconscient est issue des écoles psychanalytiques freudiennes, mais, en fait, il n'en est rien. Dans un excellent ouvrage, Marcel Chauvet montre bien que les descriptions freudiennes constituent un moyen terme dans l'opposition qui a marqué tout le XIXème siècle, entre les partisans d'une primauté de la conscience, et ceux qui niaient la réalité ou l'intérêt de la notion de conscience.

Par ailleurs, le terme d'inconscient peut traduire seulement que nous ignorons souvent le pourquoi de nos désirs, comme l'a souligné Schopenhauer. En revanche, dans la première topique freudienne, conscience et inconscient sont présentés comme deux entités distinctes, réglant le comportement selon des principes souvent opposés. Freud est revenu secondairement sur cette notion d'une localisation "topique" de l'inconscient.

 

En pratique, l'inconscient freudien recouvre quatre processus distincts :

- des pulsions innées, orientant le comportement "sous la conscience", en indépendance de toute donnée apprise.

- des "images" ou "concepts" innés comme les fantasmes originaires de haine du père et d'attirance sexuelle vers la mère, présents chez le garçon.

- une fixation passive, spontanée, forcément non sélective de tout le vécu

- un processus "dynamique" qui contrôle les souvenirs par le refoulement et la censure, qui interdit normalement le retour direct à la conscience de l'essentiel de certains souvenirs fixés sous une forme manifeste, mais n'empêche pas une influence indirecte sur les résistances ou les désirs comportementaux.

 

La biologie, je l'ai vu plus haut, rend inacceptable le second processus. Dès lors que le cerveau est vide de toute structure psychologique à la naissance, il n'y a plus de place pour une explication raisonnable de la genèse des fantasmes originaux.

L'étude des mécanismes de la mémorisation démontre que la mémoire épisodique à long terme doit passer par la conscience. Aucun modèle raisonnable ne peut être proposé pour expliquer une fixation de souvenir qui échapperait à la conscience. De plus, ce qui est mémorisé n'est pas un vécu "en soi", mais le vécu tel qu'il est intégré par le sujet, donc évalué par la conscience. Paradoxalement, pour sauver le modèle, il faudrait que les souvenirs soient évalués par la conscience, et déclarés dangereux, et alors écartés de la mémorisation épisodique à long terme. Cela éloignerait considérablement de la description freudienne.

 

La condamnation de l'inconscient dynamique

En 1912, Paul Varéry écrivait déjà : "L'inconscient est capable peut-être de fournir une solution. Mais de s'assurer qu'elle est bonne, mais de poser le problème, non." Il posait ainsi parfaitement le problème. Les processus inconscients existent bien, mais ils n'ont une capacité, ni d'une mémorisation spécifique, ni surtout une capacité d'évaluation et de décision ultérieure.

Le processus de refoulement et le processus de censure, tels que les prônent le freudisme, avaient déjà été mis à mal par les études prospectives, les seules valables, qui n'ont jamais retrouvé la preuve d'un effet de refoulement ou de censure. L'ouvrage de Lionel Naccache, chercheur du CNRS, intitulé "Le Nouvel inconscient" démontre que ces notions sont inconciliables avec une approche du fonctionnement cérébral, et renvoient donc nécessairement à une approche dualiste corps-esprit, source de difficultés insurmontables.

Les pulsions innées

 

Elles restent donc seules en course. L'existence de pulsions innées n'est guère discutable, et pose du reste fort peu de problèmes pour certaines formes de pulsions, pulsions alimentaires par exemple. Mais il est beaucoup plus difficile de définir ce que pourrait être une pulsion sexuelle très précoce. L'éthologie nous révèle combien les pulsions innées observées chez les animaux, sont peu orientées,  et combien elles sont labiles vis à vis de l'expérience. Dans l'attachement à la mère dont font preuve nombre d'animaux, la pulsion originaire n'est actualisée que par "l'empreinte" qui fixe cet attachement sur le premier objet mobile perçu, objet dont la forme et le comportement peuvent être très éloignés de la mère. Cette notion d'empreinte, définie pour la première fois par Spalding en 1873, puis par Heinroth en 1911, a été très développée par K.Lorenz, et elle est actuellement bien connue. Il est du reste extrêmement vraisemblable chez les oiseaux, que l'empreinte visuelle fait normalement suite à une empreinte auditive par "conversation" en fin d'incubation. Dans les conditions normales, en incubation naturelle, cette empreinte auditive apprise conditionne l'empreinte visuelle. Ce sont les conditions non naturelles de l'incubation artificielle qui expliquent les empreintes aberrantes. Il est cependant manifeste que le jeune ne réagit pas en fonction d'une image a priori et stéréotypée, de "mère". Cela introduit la notion essentielle de savoir si l'attachement à la mère, est de nature sexuelle.

 

L'éthologie donne d'autres exemples qui soulignent à quel point la pulsion initiale est mal définie, et ouvertes à de multiples modulation. Le poussin nouveau-né éloigné de sa mère, présente des signes de détresse. Mais la seule présence d'un congénère suffit à rassurer le poussin. Bien plus, si le poussin isolé est placé dans une enceinte tapissée de miroir, sa propre image suffit à le rassurer.

Par la suite, le poulet se fixe fortement à la mère, et de façon identique pour le poulet mâle et le poulet femelle. C'est la mère qui intervient dans un second temps, le plus souvent violemment et cruellement, pour briser cette fixation. Les images pulsionnelles sexuelles à l'âge adulte, n'en sont pas altérées pour autant.

 

La pratique des leurres chez les oisillons, témoigne également de la labilité des déterminants perceptifs innés. Un leurre reproduisant une caractéristique colorée de l'un des parents, provoque automatiquement une ouverture du bec chez l'oisillon naïf, ce qui favorise l'alimentation. Mais si le leurre est présenté après 24 heures de relations normales avec les parents, il devient inactif.

 

Au total, des sentiments innés aussi riches et précis que l'amour de la mère et la haine du père, sont  inconcevables sans une expérience de vécu, et demandent ensuite un niveau de compréhension consciente suffisant pour les justifier.

 

Il est remarquable qu'en fin de compte, la seule donnée d'observation sur la sexualité infantile qui ne relève pas de l'interprétation hasardeuse, est fournie par Fliess, alors ami de Freud, qui pensait que l'érection pénienne qu'il avait observé chez son très jeune fils, était lié à la vue de sa mère nue.  Il semble bien qu'aucune étude de confirmation ou d'infirmation n'a suivi. Le bilan est donc très maigre.

Or, à l'inverse, nombreuses sont les études éthologiques qui mettent en évidence des attachements affectifs, peu ou pas du tout lié à un point de vue sexuel. Konrad Lorenz a multiplié les exemples sur ce point.

 

Les études de Harlow chez le jeune macaque rhésus sont également très démonstratives.

L'absence totale de contact social en retirant le jeune macaque à sa mère dès les premières heures après la naissance, entraîne des troubles comportementaux très sévères. Un contact social limité strictement à la mère, dans les mêmes conditions, permet une évolution plus satisfaisante, mais se situant loin d'un optimum. En revanche, quatre jeunes rhésus, deux mâles et deux femelles, élevés ensemble au moins une heure par jour, sans aucun contact avec une "mère", évoluent parfaitement, et s'intègrent ultérieurement dans un groupe de rhésus adultes élevés normalement. Il y a donc une dissociation totale entre l'effet indispensable d'une socialisation indépendante des images parentales, et le poids beaucoup plus limité de la différentiation sexuelle, ne se manifestant pas au-delà des relations sexuelles à l'âge pubère.

 

En un mot, la "pulsion" de sociabilité paraît largement plus importante chez l'enfant jeune, qu'une pulsion sexuelle qui demeure extrêmement hypothétique. L'attribution de tels résultats à un "déplacement", un "transfert" ou autre "sublimation" relèverait de la circularité a priori qui s'était déjà produite devant les travaux contradictoires de Malinowski sur l'universalité du "complexe d'Œdipe".

 

Pour conclure cette analyse, l'inconscient de pulsion sexuelle ne saurait expliquer le comportement socio-affectif du jeune enfant, et n'est qu'un facteur parmi d'autres dans les relations entre adultes.

 

Une tout autre approche de l'inconscient devient alors très légitime, en opposant sans analyse de contenu,  ce qui est accessible à la conscience et ce qui ne l'est pas. Joseph Ledoux dit ainsi : "Beaucoup de systèmes engagés dans la mémorisation fonctionnent inconsciemment, non parce qu’en raison d’un grand dessin, certains côtés de notre vie mentale devraient être cachés au soi sensible, mais simplement parce que leur exécution n’est pas accessible au cerveau conscient."

 

Il y a un point supplémentaire à aborder. De nombreux psychanalystes arguent de l'émerveillement qu'ils ressentent devant les éclaircissements que leur apporte la cure psychanalytique didactique. Un grand nombre d'entre eux  sont sans doute sincères. Or il y a une explication très simple qui réside dans les propriétés même de la mémoire. Le fait que le vécu est très incomplètement mémorisé, expose à des confusions entre ce qui a été réellement vécu et ce qui a été raconté. Piaget a fait part lui-même d'une expérience personnelle sur ce plan mais cette confusion est d'expérience courante. Squire et Kandell en présentent une étude systématique dans un chapitre sur les imperfections de la mémoire déclarative. Or, si on est conduit à évoquer de façon répétée, des hypothèses sur le vécu ancien au travers de principes doctrinaires, la confusion a toutes chances de se produire, et d'être rapidement renforcée. C'est le fait "Julius" cité plus haut qui apparaît. La cure psychanalytique n'atteint pas un passé oublié, mais "construit" un passé imaginaire, évidemment en parfait accord avec les principes doctrinaires qui ont entretenu la réflexion.

 

Un processus identique apparaît dans l'activité d'interprétation. Comme le souligne Mark Solms, la théorie psychanalytique possède un énorme potentiel d'hypothèses. Sans contrôle en retour, ces hypothèses  permettent toutes les combinaisons possibles, en échafaudages  sans aucune assise en dehors de la doctrine, donc sans contrainte, ce qui les rend  d'autant plus brillants. Quand les processus d'interprétations se poursuivent de longues années, des liens entre les hypothèses apparaissent, et sont mieux mémorisés que les cas particuliers, ce qui donne à leurs auteurs, un sentiment de validation.

 

Le processus intellectuel de Freud lui-même, illustre bien ce mécanisme. Il présente souvent une idée nouvelle comme une hypothèse intéressante  qu'il faut chercher à valider. Quelques années plus tard, lorsque le même thème est repris, l'hypothèse est devenue certitude. Si on recherche l'explication de cette évolution, on ne trouve que la force de l'habitude, et probablement l'encouragement d'un sérail émerveillé, ayant moins l'esprit expérimental que Freud lui-même.

 

---------------------

 

Le point D : le platonisme freudien et lacanien.

 

C’est probablement le point le plus important, car il devrait se situer à l’origine de toute réflexion philosophique ou psychologique.

Il est apparu très rapidement dans la pensée grecque, opposant les conceptions de Démocrite (460-370 av JC) et de Platon ( 427-347 av JC).

Pour Démocrite, les idées ou concepts dérivent d’une construction humaine par réflexion sur la rencontre avec l’environnement. Pour Platon, les « idées » existent, en soi, au Ciel et de toute éternité, précédant donc l’expérience de l’environnement et la canalisant.

"Personne ne croit plus aux "idées" de Platon, mais cette mythologie intellectuelle a pris rang dans les moyens de pensée de tout le monde" fait remarquer très justement Paul Valéry. En fait, tout enfant de 18 mois, lorsqu’il s’ouvre au langage, rencontre effectivement un système langagier existant en dehors de lui et l’ayant précédé. Un réalisme implicite, dit encore naïf, précède donc tout réflexion langagière.

 

En fait, toute attitude de discours premier relève d'un réalisme platonicien implicite. C'est le cas des "fantasmes originaires", base indispensable de la psychanalyse. Freud ne les faisait pas venir du "ciel", comme les idées, mais d’une préexistence dans les gènes, ce qui revient au même, avec moins de cohérence : Platon est consciemment dualiste opposant le corps et les idées, tandis que Freud attribue des propriétés inventées aux gènes pour sauver un monisme apparent.

L’inconscient langagier de Lacan est exactement de la même eau : toute attitude qui ne soucie pas d'expliquer l'origine des fantasmes ou autres données inconscientes, est équivalente.

 

Tout processus d'interprétation du contenu mental d'un sujet à la place du sujet, qu'il s'agisse du discours ou d'images symboliques, n'est possible que dans une perspective dite « réaliste » par les philosophes, et qui implique un dualisme implicite ou explicite, opposant l’individu et les concepts qu’il manipule

 

Cela renvoie évidemment au point A. Mais si la signification "en soi" des concepts et des symboles, n'est pas contenu dans un patrimoine génétique, quelle pourrait en être l'origine ? Finalement, la thèse originelle de Platon qui met en avant une origine divine, est encore la plus cohérente, et pourtant bien difficile à intégrer.

 

Il me paraît souhaitable de reprendre cette approche du réalisme sous deux aspects que je qualifierais volontiers de réalisme freudien et de réalisme lacanien.

 

Le réalisme freudien :

 

Il recouvre tous les aspects de la sexualité infantile, et par là-même, la sexualité adulte qui se trouve ainsi totalement définie a priori, tant dans un aspect de pulsion que d'objet d'attachement, tout cela gratuitement et sans aucun support biologique.

 

Le réalisme lacanien :

 

C'est « l'inconscient structuré comme un langage » de Lacan qui revient à postuler un discours premier.  Lacan en était certainement conscient, et cela l'a conduit à rejeter toute idée de support biologique de la libido. Ce faisant, Lacan introduisait un dualisme corps/esprit implicite, indispensable à la cohérence de sa doctrine, mais introduisant également les difficultés majeures propres au réalisme platonicien et à tous les parallélismes psycho-physiologiques, avec l'incapacité d'expliquer les effets manifestes du fonctionnement biologique sur l'activité mentale. Lacan retourne donc à la période préaristotélicienne. Le dernier avatar de cette évolution est à trouver dans le traitement de l'autisme infantile par le "packing" : "L'autisme infantile est un enfermement derrière les remparts d'une forteresse. Ces remparts traduisent une enveloppe psychique. Il faut donc faire tomber cette enveloppe, et pour cela modifier, la température cutanée."  C'est tout simplement un retour aux plus beaux jours d'Hippocrate sur l'hydrothérapie. Pire encore, c'est un retour à la façon dont les traitements ont été définis depuis la nuit des temps. Gaston Bachelard a souligné la bêtise de ce genre de raisonnement dans "La formation de l'esprit scientifique", mais le raisonnement, aussi rigoureux qu'il soit, est de peu de poids devant tous les bénéfices à attendre du charlatanisme.

 

Il devrait donc être pris conscience que dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible de justifier une approche réaliste en psychologie. Indirectement, il y a là, une très sévère condamnation de l’approche psychanalytique.

Cependant bien peu nombreux sont ceux qui abordent ce problème pourtant essentiel. Ceux qui rejettent la psychanalyse pour d’autres raisons trouvent inutiles d’en rajouter. Ceux qui adhèrent à la psychanalyse, pratiquent le discours premier pour toute approche et ne peuvent penser qu’en circuit bouclé inopérant.

 

-----------------

 

Au total, Psychanalyse et Biologie apparaissent totalement inconciliables sur trois points essentiels :

-       l'origine des significations symboliques et conceptuelles qui doivent être reconstruites individuellement par l'expérience, et ne peuvent préexister à cette expérience.

-       le mécanisme de la mémorisation épisodique à long terme.

-       Le postulat d’un inconscient dynamique qui serait doté d'une mécanisme d'évaluation propre, définissant un mécanisme de censure et de refoulement.

 

---------------

 

 

 

Conclusions

 

Il est manifeste que la prédiction conditionnelle de Freud sur l'action de la biologie, s'est bien réalisée. Aucun accord entre la biologie et l'approche psychanalytique traditionnelle n'est possible. En ce sens, "l'édifice artificiel d'hypothèses s'est bien écroulé comme un château de cartes" si la biologie n'est pas récusée par principe. Si Freud vivait aujourd'hui, il ne défendrait certainement pas pas les mêmes idées, du fait de son grand respect pour la neurophysiologie qu'il a pratiqué durant plus de dix ans. Quant à Lacan, il a fini par condamné lui-même les processus psychanalytiques de pensée qu'il avait utilisé, pour tenter de sauver ce qui correspond à un réalisme des idées.

 

Il ne faudrait cependant pas aller trop loin dans la critique, et reconnaître l'importance du soutien psychologique. Freud a initié une méthode qui est à l'origine de grands bienfaits. Il n'est nullement indispensable que le "psychodrame" vécu par le thérapeute et son patient corresponde à des faits authentiques, que les "souvenirs" évoqués ne soient pas en fait des constructions nouvelles, c'est la situation de relation confiante qui importe. Effectivement, la pratique de la psychanalyse est à l'origine de modifications profondes qui ne relèvent pas des mêmes critiques que la psychanalyse traditionnelle, comme la psychothérapie de résilience ou la thérapie non interprétative du "Process of Change Study Group" de Boston. Comme le disent Squire et Kandel (2003), " Contrairement à la pensée psychanalytique classique ou l'interprétation et les aperçus conscients, sont considérés comme les clefs du processus psychothérapique, l'efficacité de la rencontre ne dépend nullement de la prise de conscience de données inconscientes. L'efficacité tient aux modifications durables du comportement par un élargissement de l'étendue des stratégies du patient pour faire, pour être  et pour interagir avec les autres."

Il y a donc un progrès réel par rapport au Zodiaque, à la Pythie ou aux Haruspices pour répondre au désir immodéré de prévoir l'avenir, d'expliquer l'inexplicable, de chercher une solution dans une "résonance" avec autrui,  ou à toute motivation de divination, désir  ancré de tous temps dans l'humanité.

 

Les bases d'une approche de la psychologie qui se voudrait universelle.

 

C'est en ce domaine que la théorie psychanalytiqiue a fait des ravages qui perdurent, surtout en France, l'un des seuls trois pays qui accordent encore une certaine considération à la psychanalyse.

Parmi les critiques graves que l'on peut adresser à la théorie psychanalytique, citons :

 

a) en tout premier, la défense d'un déterminisme global, aux conséquences catastrophiques pour la dignité humaine, appliqué aux patients et aux opposants à la théorie, respectant, bien sûr !!, les adeptes praticiens, et en faisant des demi-dieux.

Ce déterminisme apparaît tout spécialement dans l'idée que le vécu familial se reproduirait indéfiniment dans les générations qui se suivent, que le vécu personnel des premières années engagerait définitivement l'avenir.

Ce refus de tout véritable "arbitrage du moi" ne repose que sur l'affirmation a priori, et au seul bénéfice des thérapeutes.

 

b) la réduction de toute la richesse et la variété de la réflexion psychologique, à quelques archétypes très discutables et ne reposant sur aucun travail expérimental sérieux.

 

c) la négation de toute variance constitutionnelle dans une population dite normale, dont les frontières sont fixées arbitrairement, avec une évaluation fantaisiste de ce qui est organique et ce qui ne l'est pas.

 

d) une primauté sur les équilibres psychologiques du vécu des premières années, alors qu'il est manifeste que les significations sont initialement nulles, demeurent longtemps très pauvres, et sont remises continuellement en question par le développement psychologique ultérieur. C'est certainement là que réside le plus grand défaut de la psychanalyse, en expliquant la pathologie mentale à partir d'un traumatisme psychologique précoce totalement inventé, ce qui paralyse des approches éducatives beaucoup plus positives.

 

e) une dérive vers le retour à un réalisme platonicien, digne des plus hauts sommets de la scolastique moyenâgeuse. Cette dérive, amorcée par Freud avec les "fantasmes originaires", est hypertrophiée par l'inconscient langagier de Lacan.

 

f) un encouragement à ne rechercher aucune  valorisation d'une hypothèse proposée, ne retenant que son aspect apparent de séduction, le savoir qui se contente de toujours commencer et qui n'arrive jamais à rien.

 

La condamnation de la psychiatrie traditionnelle :

 

L'approche psychanalytique conduit à considérer comme un pis aller seulement inévitable devant des cas trop probants, l'explication d'un trouble mental comme la traduction d'un dysfonctionnement cérébral premier. Cela est particulièrement manifeste en psychiatrie infantile et dans le cadre des déficits cognitifs.

Il en résulte une prise en charge largement inefficace, extrêmement coûteuse, et qui parasite la mise en place de solutions d'accueil, notamment pour les adultes incapables.

 

-----------------------