Ce
quĠaiment les hommes, ce que tu aimes, ce nĠest pas connatre, ce nĠest pas savoir, : cĠest osciller entre deux vrits ou deux
mensonges.
Jean
Giraudoux
Depuis une dizaine dĠannes, et la retraite de mes autres activits, je me suis consacr lĠexpertise psychiatrique, notamment celle de la responsabilit pnale.
Ds quĠau dbut de mon internat, jĠai pens mĠorienter vers la neurologie et la psychiatrie, jĠai estim indispensable dĠacqurir une formation conjointe en psychologie et en neuro-psycho-physiologie. Ce que jĠai fait en France et lĠtranger. Cela a profondment marqu mon approche professionnelle.
Cela, associ lĠexprience de lĠexpertise pnale durant une vingtaine dĠannes, me conduit quelques rflexions que je souhaite proposer.
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Responsabilit
pnale et expertise psychiatrique
Au cÏur de l'expertise psychiatrique d'un mis en cause, il y a une valuation de sa responsabilit pnale, comme au cÏur de l'examen mdico-psychologique d'une victime ayant port plainte, il y a une valuation de sa crdibilit.
En dernier ressort, c'est le magistrat qui dcide, et l'expert n'est charg que de fournir les lments aussi objectifs que possible, pour orienter la dcision.
Il me semble alors que l'expert est tenu, non seulement d'exposer ses conclusions, mais galement dĠindiquer les critres sur lesquels il s'est appuy pour tablir ces conclusions, ce que je fais ici.
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La notion mme de responsabilit pnale prte beaucoup plus discussion qu'on ne le croit gnralement. Mon ami Pierre Chabran, ancien prsident de Cour de Cassation, rcemment dcd, pensait mme qu'il est vain de pouvoir dterminer une responsabilit pnale, et que la justice doit surtout se soucier de protger la socit en gnral, et les particuliers qui la composent. Cette opinion qui traduit une rserve sur la validit de lĠexpertise, est, mon avis, abusive, mais en partie justifie, pose problme, et souligne quel point, la dtermination de la responsabilit pnale Ç vraie È est dlicate pour qui veut bien y rflchir.
En premier lieu, il y a ncessairement, dans le travail de lĠexpert, des points de dpart implicites qui relvent en grande partie d'un choix personnel, dont lĠexpert nĠest pas toujours conscient quĠil a fait un choix. Ce choix repose sur des donnes beaucoup plus gnrales que la psychiatrie elle-mme, qui devraient faire partie du bagage de Ç lĠhonnte homme È actuel. Les consquences sont lourdes car elles dterminent lĠexistence de plusieurs coles qui peuvent aboutir dans un cas particulier, des conclusions trs diffrentes, voire mme opposes.
Il y principalement un choix faire entre trois options :
- selon une premire option, il y aurait un systme de rfrence inhrent la nature humaine, qui rglerait de faon fortement dtermine et universelle, les aspects principaux de tous les rapports sociaux, notamment les rapports consonance parentale ou sexuelle. C'est la position adopte le plus souvent aujourdĠhui en France par les psychiatres et les psychologues, qui s'accordent, en plus, une capacit d'interprtation des comportements qu'ils seraient seuls possder, parce quĠeux seuls connaitraient les rgles.
- selon une seconde option, une place de choix est accorde un dterminisme social, tel que l'envisageaient les coles amricaines ou russes, issues du pavlovisme, et qui a t reprise plus rcemment en France par Pierre Bourdieu. Les dcisions prises par un individu le sont en fonction des habitudes qu'il a contractes, selon le principe dĠun conditionnement, avec une forte dtermination par le milieu familial. Toute diffrence constitutionnelle est rcuse.
- selon une troisime option, de vritables capacits d'autonomie sont accordes l'individu, ce qui le rend en partie du moins, indpendant des influences sociales prsentes. Ces capacits d'autonomie ne sont pas gales pour tous, et on est conduit reconnatre lĠimportance dĠune variance de personnalit.
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Analyse critique dĠun systme naturel de rfrence, prcdent lĠexprience :
Ce systme suppose que les individus naissent tous psychologiquement organiss, et quivalents en dehors d'un nombre trs limit de cas marqus par une grave pathologie crbrale, dont les limites sont en fait assez floues.
Le type mme de cette approche est la conception psychanalytique, formule initialement par Freud, et reprise plus rcemment en France par Jacques Lacan. Ce dernier a du reste reconnu peu de temps avant sa mort, qu'il s'agissait d'une escroquerie.
De prs ou de loin, il est fait rfrence des relations avec le milieu extrieur, principalement socio-affectif, qui sont dtermines, au moins en partie, par des rgles de fonctionnement prcdant le vcu, et le primant de ce fait.
Par ailleurs, il est accord aux symboles et au mot, une valeur Ç en soi È, ce qui rejoint implicitement le ralisme platonicien.
En fait, comme Marcel Gauchet lĠa bien montr (LĠInconscient Crbral), il nĠy a aucune originalit dans lĠapproche psychanalytique, mais un choix de supposs implicites bien individualiss avant Freud, et trs marqus par les processus de pense de 1895. Or tous ces supposs implicites sont condamns aujourdĠhui par les progrs des neurosciences depuis une cinquantaine d'annes. Le maintien dĠune cohrence exigerait alors le recours un dualisme corps/esprit, implicite ou explicite, avec toutes les difficults que cela entranerait.
Trois points critiques essentiels devraient tre opposs lĠide dĠun systme de rfrence prcdant lĠexprience :
-l'inconscient existe bien, mais il est initialement vide
de tout contenu, et il est priv de
toute possibilit de dcision et de fixation mnsique.
Il faut lire, ce propos, "Le Nouvel Inconscient" de Lionel Naccache, ancien lve de lĠEcole Normale Suprieure, chercheur au CNRS, qui mriterait dĠtre beaucoup plus connu et reconnu quĠil ne lĠest.
-le contenu d'information des gnes est infiniment plus rduit que ne le pensait Freud,
Il est trs diffrent de ce que supposait initialement la science de la Gntique, dans la suite de Mendel. Le lien entre un gne dtermin et un caractre de lĠindividu achev, apparat aujourdĠhui infiniment plus complexe quĠil ne lĠtait pour Freud, dans la suite du seul Mendel.
Ds 1964, alors que la nature des gnes commenait tout juste tre prcise, le grand embryologiste anglais Waddincton dclarait quĠun systme prdtermin dans lĠA.D.N. tait inacceptable pour lĠembryologie
(A titre dĠexemple particulirement
significatif, vers lĠanne 2000,
il a pu tre dmontr que le gne FoxP2 avait des consquences incalculables
sur lĠaptitude au langage de lĠhomme, du grand singe et des autres animaux. Une
variation portant sur un ou deux acides amins de ce gne, a des effets
dramatiques, et pourtant, le gne lui-mme nĠa absolument aucun contenu
smantique propre, sous aucune forme. Lire sur le WEB : Des gnes
ncessaires la parole.)
En 2007,
James Watson, lĠun des deux dcouvreurs de la structure linaire de
lĠADN, crivait : Ç Ce sont les diffrences dans les rgulations
aprs coup, bien plus que lĠidentit des gnes dans un gnome, qui dterminent
le phnotype. È Ce nĠtait
pas des paroles en lĠair quand il est bien tabli aujourdĠhui que le gnome de
la mouche du vinaigre et celui de lĠhomme sont de taille voisine et ont environ
la moiti de leurs gnes en commun. La similitude serait encore beaucoup plus
proche si la comparaison tait faite sur les seuls gnes de structure, en
excluant justement les gnes de rgulation.
[1]
En fait, aucune des Ç formes È labores caractrisant la nature humaine et son fonctionnement, ne sont prsentes dans lĠÏuf humain.
Ces Ç formes È apparaissent toutes secondairement durant le dveloppement pr-natal, et sont le rsultat dĠune Ç histoire È figeant une dynamique totalement interne, durant ce dveloppement.
a)cette dynamique se droule lĠabri du monde extrieur et ne peut donc introduire secondairement aucune Ç forme È de ce monde extrieur.
b)cette dynamique est comparable
celle dĠun enchanement de thormes
gomtriques, o chacun est rendu ncessaire par lĠensemble des prcdents,
sans tre contenu dans des axiomes de
dpart (Waddington cit par Piaget, 1964).
-le cerveau la
naissance est ncessairement vide de toute signification concernant
l'environnement physique et social.
Le contenu des gnes tant ce quĠil est, il ne peut en tre autrement. En revanche, ce cerveau la naissance est admirablement construit, et prt rapidement tirer partie de toutes les expriences. Une comparaison peut tre faite avec l'ordinateur sorti d'usine Taiwan, et qui n'a mme pas encore reu de systme d'exploitation, Windows ou autres.
-les notions dĠinstinct, de conditionnement, dĠinconscient et de
conscient, qui, la grande poque de Freud taient considres en contradiction,
sont vues aujourdĠhui comme diffrentes facettes agissant en synergie pour
effectuer ou expliquer le comportement.
LĠthologie, notamment, ne peut vacuer tous les aspects de Ç conscience È, au moins rudimentaires.
Cette rcusation des points de vue qui constituent la base de la conception psychanalytique a de trs lourdes consquences sur lĠexpertise. La psychanalyse tait la seule conception proposant un systme de rfrence, avant et en dehors du vcu, le prcdant, acceptant donc implicitement ce quĠil est convenu dĠappeler un ralisme platonicien, cĠest dire une existence Ç en soi È des concepts, des symboles, des jeux de mots, des orientations comportementales Ç originaires È, indpendamment dĠune construction personnelle, directe ou transmise par lĠentourage.
La rcusation de la psychanalyse conduit constater quĠil nĠy a en fait aucun systme de rfrence pour expliquer le comportement. Dans la recherche dĠune Ç vrit È, lĠexpert ne dispose donc aucunement dĠune supriorit vis vis de lĠenqute policire. Il est mme beaucoup moins bien plac pour lĠaccs auprs des tiers qui permettent les recoupements.
Les donnes qui condamnent une rfrence prcdant lĠexprience, condamnent du mme coup, toutes les formes de ralisme platonicien, peine mises au got du jour, qui faisaient les dlices de Grgory Bateson dans Ç La Nature et la Pense È, et plus encore ceux de Jacques Lacan dans toute son oeuvre.
En fait, ce sont toutes les approches de type psychanalytique, reposant sur un ralisme mtaphysique implicite ou explicite, qui se trouvent rcuses sur le plan scientifique : lĠinconscient collectif, les fantasmes originaires et leur dynamique, les jeux de mots de porte universelle merveillant les gogos comme Ç jĠouie sens È pour jouissance, les lapsus significatifs, le symbolisme sexuel freudien, lĠinconscient langagier de Lacan. Ds lors, une approche acceptant des significations sur lĠenvironnement, prcdant et rgulant dĠemble la relation avec lĠenvironnement, se trouve ramene sur le plan spcifique de lĠexpertise, une nouvelle forme dĠart divinatoire. Il y a les mmes motivations dĠargent et de puissance. Mise part lĠaspect trs positif de la relation humaine, la validit nĠest pas plus leve que celle de lĠastrologie qui a pour elle, lĠavantage dĠune dure de vie dĠau moins 5000 ans. Mme les haruspices ont eu sept sicles de succs.
La seule dfense thorique possible de ces approches, serait lĠadoption dĠun dualisme corps/esprit, ce qui est tout fait acceptable dans une approche mtaphysique, mais pas dans une approche scientifique et mdicale. Ce dualisme fait apparatre dĠautres problmes insolubles.
Au total, sans mme se soucier de rechercher Ç la tortue du bas È, reprsentant de faon image, les bases de la connaissance, cette approche acceptant un systme naturel de rfrence prcdant lĠexprience, a de graves inconvnients :
-il y a en quelque sorte, une condamnation dĠune valuation de responsabilit pnale puisque le mis en cause est cens avoir eu une orientation comportementale dtermine. Les conclusions de lĠexpert sur la responsabilit, sont donc un leurre.
-tout critre de distinction entre les effets constitutionnels et les effets environnementaux disparat. La simple affirmation quĠil faut reconnatre parfois malgr tout, des facteurs constitutionnels comme dans la dbilit qui marque la trisomie 21, revient expliquer la faon du mdecin de Molire, Ç pourquoi votre fille est muette È.
La question de
lĠexistence ou non dĠun systme naturel de rfrence, prcdant lĠexprience,
est donc absolument cruciale. Elle relve de la culture gnrale de
Ç lĠhonnte homme È dĠaujourdĠhui, une culture plus scientifique sur
la nature du fonctionnement psychologique humain, quĠelle ne lĠtait au XVIIme
sicle. Une rponse cette question devrait tre un pralable pour tous, et
plus encore pour quiconque pense pouvoir aborder le sujet de la responsabilit
pnale. En revanche, ce sujet devrait laisser totalement ouvert toute approche
mtaphysique, religieuse ou non.
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Analyse critique du conditionnement social:
Ds 1937, Lorenz montrait que les thories du conditionnement ne permettaient mme pas de prvoir le comportement lmentaire du rat blanc en laboratoire, plus forte raison les comportements complexes dans un milieu ouvert. Il ouvrait la possibilit de dterminants comportementaux inns, de faon abusive du reste.
En fait, il est bien tabli aujourdĠhui, sur le plan de l'thologie, quĠun organisme aussi simple que la mouche du vinaigre, apprend viter tout ce qui est de couleur bleu, aprs un choc douloureux unique dans une ambiance bleue, ce qui limine totalement la gnralisation du conditionnement par rptition, seul moyen de faire l'impasse d'un vritable "jugement" lors de la rencontre avec un stimulus. Ce cas extrme est particulirement parlant, mais il nĠest quĠun exemple. Depuis 1950, une conscience qui juge et dcide, est devenue une pice centrale et maitresse dans lĠexplication thologique chez lĠanimal.
Pierre Bourdieu basait ses ides sur une extrapolation injustifie de points de vue statistiques. Un garon n dans une famille de cadre suprieur habitant Neuilly sur Seine, a effectivement beaucoup plus de chance de finir Polytechnique qu'un garon n Sarcelles dans un milieu ouvrier immigrant. Ce faisant, Pierre Bourdieu simplifiait outrageusement la question. Il y a des garons ns Sarcelles dans des familles modestes qui finissent dans une grande cole. Il y en a mme plus dans les familles maghrbines que dans les familles mtropolitaines de mme classe sociale. Les exemples sont trs nombreux, d'individus partis de rien et parvenus au plus haut, sur le plan politique comme Suger ou le pape Jules II, sur le plan scientifique comme d'Alembert, Gauss ou Wernicke.
Pierre Bourdieu ngligeait totalement la migration slective qui explique que la russite sociale est sanctionne par une tendance au dmnagement Neuilly ou au dpart de Sarcelles, quĠinversement, lĠchec social a une tendance entrainer le dpart de Neuilly et lĠarrive Sarcelles.
Il existe en fait de nombreux cas de dbilit absolument inexpliqus Neuilly. du reste particulirement douloureux pour les familles.
Ds 1971, J. Waller prouvait dans une tude remarquable, le changement de milieu social des fils dont lĠintelligence sĠcartait franchement de celle de leurs pres, ce qui est un fait trs courant et trs significatif.
Seule la France conserve encore de nombreux disciples de Jean-Jacques Rousseau qui avait certainement raison de rdiger son poque, "Le discours sur les origines de l'ingalit", mais beaucoup moins la ntre.
L encore, sans mme se soucier de rechercher Ç la tortue du bas È, cette approche prsente les mmes inconvnients que la prcdente :
-il y a en quelque sorte, une condamnation dĠune valuation de responsabilit pnale puisque le mis en cause est cens avoir eu une orientation comportementale dtermine par son milieu. Les conclusions de lĠexpert sont donc nouveau un leurre.
-tout critre de distinction entre les effets constitutionnels et les effets environnementaux disparat autant que dans lĠoption prcdente.
Franois Jacob qui, ignorant le premier mot du constructivisme radical, ne voyait pas comment un examen de quelques dizaines de minutes, pouvait prciser une efficience intellectuelle chez un enfant, reconnat cependant, dans Ç Le jeu du possible È que la variance gntique de lĠintelligence est trs vraisemblable.
La remise en cause de ces deux premires approches, rcusant toute forme de dterminisme, bouleverse compltement lĠapproche de lĠexpertise pnale. Toute Ç interprtation È devient suspecte.
La porte de conclusions issues de lĠanalyse du vcu particulier antrieur du mis en cause et du contexte, se trouve considrablement rduite.
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Analyse critique de l'autonomie :
L'inconsistance des deux approches prcdentes conduit invitablement admettre un minimum d'autonomie dans le comportement individuel, justifiant donc la notion de responsabilit pnale. Ce n'est pas pour autant que les liens entre autonomie et responsabilit sont vidents et univoques. Une chose est certaine, cĠest que lĠabandon du dterminisme, biologique ou social, et lĠacceptation dĠune authentique autonomie, compliquent considrablement lĠanalyse du comportement individuel, et limitent du mme coup, la porte dĠune valuation expertale.
Pierre Vendrys a remarquablement tudi la notion de libre arbitre dans le cadre de lĠautonomie. LĠautonomie, dit-il, cĠest la capacit de nĠobir quĠ ses propres lois, et le libre arbitre, prsent chez lĠanimal, traduit cette capacit. De ce fait deux temps sont considrer :
- le premier est celui de la capacit intgrer des lois comportementales internes, base notamment de la morale, ce qui implique en particulier lĠefficience intellectuelle et un quilibre psychologique
- le second est le fait dĠavoir effectivement suivi ce qui dcoulait de la rflexion. Celle-ci confronte certaines de ces lois et aboutit une dcision morale ou immorale en connaissance de cause ; cĠest l que devrait rsid le vritable facteur de responsabilit pnale. Le choix entre deux possibilits comportementales, comme par exemple la sincrit et le mensonge, est donc le rsultat dĠune vritable dcision personnelle selon des lois propres, partir de motifs propres, et non dtermin par des principes universels.[2]
Il y a donc un lien trs troit entre la responsabilit pnale et une Ç capacit È dĠautonomie. Cette capacit est lie lĠge, lĠefficience intellectuelle, mais, de plus, elle peut tre altre par un trouble mental, et cĠest essentiellement l quĠintervient le psychiatre.
Cette approche, la seule cohrente mon avis, fait apparatre des difficults techniques. Elle rend habituellement trs difficile la dtection du mensonge partir de la seule analyse dĠun premier discours, fait par une personne intelligente qui a pu bnficier de temps et de rflexions pour construire son mensonge.
La confrontation des discours, donn par un mme individu et surtout par des tiers, peut faire apparatre de prcieuses contradictions, mais lĠexpert psychiatre ne peut se targuer dĠaucune supriorit par rapport tout enquteur expriment.
Il faut souligner quĠil y a une forte concordance entre lĠautonomie et le constructivisme radical qui affirme que chaque individu se fait psychologiquement lui-mme partir de zro sur le plan des significations. LĠenfant dveloppe une personnalit en accumulant des dcisions concluant les relations avec lĠenvironnement qui ont pos problme. CĠest Ç lĠabstraction rflchissante È dcrite par Jean Piaget, qui, contrairement la psychanalyse, reoit un appui croissant des neurosciences.
Il est maintenant bien admis que toute modification durable de lĠorganisation crbrale, sauf peut-tre et encore, les conduites trs fortement rptitives, passent par une analyse et une dcision conscientes.
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Devant un choix qui devrait sĠimposer, la solution la plus frquemment
adopte par les experts, est de ne pas faire de choix, mais dĠÇ osciller
la demande, entre deux vrits ou deux mensonges È (Jean Giraudoux). Le moins quĠon puisse dire est quĠune
telle attitude pour un expert, nĠest ni trs honnte, ni trs scientifique.
Je pense quĠaucune activit expertale en
matire de responsabilit pnale, aucune interprtation dĠexpertise en
responsabilit pnale, ne devrait tre conduites avant que ne soient approndies au mieux, et indiques, les raisons dĠun choix
entre les trois options exposes.
Le choix ne peut tre justifi quĠaprs saturation des connaissances
nouvellement acquises en neuro-sciences. Le choix
doit tre communiqu en mme temps que lĠexpertise.
Mon choix personnel de la troisime option me semble trs solidement
argument, et je souhaite dvelopper ses consquences.
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Parmi les facteurs dterminant un degr d'autonomie, et ds lors que la situation nĠest pas celle dĠune abolition plus ou moins vidente du discernement, un seul est manifeste et facilement mesurable, l'efficience intellectuelle.
Aucune chelle dĠintensit de la pression de la pulsion sexuelle nĠa t tablie. Le seul moyen dĠvaluation dĠune tendance de caractre autre que lĠintelligence, et du mme coup, un dsordre de personnalit, est le Ç questionnaire È dont les rponses en situation dĠvaluation de responsabilit pnale, sont facilement fausses.
L'efficience intellectuelle :
A ct de lĠexprience, la capacit intellectuelle joue un rle majeur dans lĠvaluation anticipe des comportements. DĠaprs les travaux de Cattell, seule la dimension de forte empathie au ple positif, de manque dĠempathie au ple ngatif, est dĠimportance comparable.
Quelques points peuvent tre souligns :
1)La capacit intellectuelle est de distribution gaussienne, les individus moyens tant les plus nombreux. Le pourcentage se situant en dessous ou en dessus de la moyenne, diminue dĠautant plus lorsqu'on s'loigne de la moyenne. Il y a longtemps quĠil a t observ que la capacit intellectuelle des dlinquants se situait en moyenne, assez nettement en dessous de la moyenne gnrale, le plus souvent proche de -1 cart type, cĠest dire le seuil des 85% les moins efficaces. [3]
2)La capacit intellectuelle se mesure avec beaucoup de prcision, et cela d'autant plus que les individus sont plus gs. Ainsi, les vrais jumeaux levs totalement sparment pendant 60 ans et qui se retrouvent, russissent identiquement aux tests avec une prcision surprenante.
3)La capacit intellectuelle a une forte composante gntique qui apparat nettement lorsque sont compars entre eux, des individus appartenant au mme groupe ethnique et culturel, par exemple s'tant vu offrir au dpart, des conditions de scolarit identiques.
4)La capacit intellectuelle se caractrise de deux faons :
- lĠge mental qui traduit la russite dĠun sujet moyen dĠun ge chronologique donn. CĠest la forme la plus parlante, mais elle ne vaut que jusquĠ 13/14 ans dĠge mental. Deux individus qui ont tous deux dix ans dĠge mental, auront beaucoup de points communs sur le plan du jugement moral, mme si lĠun dĠeux, a huit ans dĠge chronologique, et lĠautre trente cinq.
-la place de lĠindividu dans la population de son ge. Ainsi, lĠOMS dfinit le seuil de lĠintelligence normale comme celui qui est franchi par 98 % de la population de lĠge.
A partir de cela, et en faisant appel aux analyses de l'O.M.S., je distingue personnellement trois groupes :
- les individus qui au mieux de leur dveloppement n'atteindront pas 6 ans d'ge mental ou ne l'atteignent plus, et qui reprsentent peut-tre cinq pour mille de la population, mais quĠon rencontre rarement dans le milieu totalement ouvert. Un diagnostic d'irresponsabilit totale devrait alors thoriquement gnralement s'imposer, au mme titre que chez les enfants moyens de 6 ans dĠge chronologique. Mais comme pour les enfants de moins de 6 ans dĠge mental, il se pose la question des consquences trs abusives de lĠindulgence que lĠenfant de deux ans dĠge mental peroit dj et qui a une porte contre-ducative. Pour cette seule raison, je reconnais le plus souvent une responsabilit pnale attnue, en indiquant mes raisons.
- les individus qui se classent en dessus des prcdents, mais ne dpassent pas le seuil des deux centiles les moins bons de la population de l'ge, selon la dfinition par l'OMS d'un seuil de l'intelligence normale. Cela correspond chez lĠadulte jeune, un ge mental de moins de huit ans et un niveau scolaire ne dpassant pas une fin de CE1. Je conclus une responsabilit attnue, le problme du cas prcdent ne se posant pas.
- les individus qui se classent encore en dessus des prcdents. Ils ne sont pas tous quivalents sur le plan dĠune responsabilit, mais au minimum, ils ont la capacit d'intgrer les interdits sociaux et de comprendre la sanction pnale
Ensuite, plus les scores sont levs, plus l'explication de l'infraction est indpendante de l'efficience intellectuelle.
Un cas part concerne les enfants et les adolescents. Les affections mentales altrant le discernement et respectant l'efficience intellectuelle, sont absolument exceptionnelles avant 15 ans. Je pense que Ç la psychose infantile È nĠexiste pratiquement pas au del dĠune tentative totalement arbitraire dĠexplication psychanalytique de toute faiblesse intellectuelle.
De ce fait, la capacit de discernement est alors encore plus fortement relie au niveau intellectuel. De mme, la capacit de formuler un tmoignage cohrent, avec de solides rfrences spatio-temporelles, le sens de l'intention et de la responsabilit, sont troitement lis l'ge mental.
A lĠautre extrme de la vie, et du fait dĠune dtrioration intellectuelle en quelque sorte physiologique, lĠvaluation de lĠefficience intellectuelle rcupre une importance essentielle. Les rfrences juridiques sont malheureusement trs mal prcises. CĠest faute dĠautres donnes que je prends personnellement comme rfrence, la dfinition de lĠOMS qui fixe le seuil de lĠintelligence normale la limite suprieure de lĠavant dernier centile dans la distribution de la population gnrale 40 ans, ge de lĠoptimum intellectuel psychomtrique.
Il y a cependant une justification thorique cette manire de voir. Il est en effet vident et aisment comprhensible que lĠvolution de la dtrioration se fasse selon les mmes tapes, en sens inverse videmment, que le dveloppement cognitif de lĠenfant.
Les facteurs autres que l'efficience intellectuelle :
Ils sont certains mais beaucoup plus difficiles caractriser, en dehors des cas manifestes de maladie mentale svre. Ils sont regroups avec raison sous le terme d'altration du discernement, avec la prcision indispensable que les cas o lĠaltration du discernement est lie un toxique absorb en connaissance de cause, ne constituent pas, le plus souvent, une irresponsabilit.
Ce dernier cas, prvu par le Code Romain et non repris par les Codes qui se sont succds en France, est doublement intressant considrer :
-la responsabilit pnale est reporte sur la dcision d'une consommation illicite
-il dmontre comment le dysfonctionnement crbral entrane une altration du discernement.
Cela dit, quelques prcisions s'imposent dans lĠapproche des facteurs autres que lĠefficience intellectuelle :
-il n'y a pas de vritables marqueurs biologiques directs des affections mentales, d'autant plus que les agents ventuellement en cause et les mdicaments utiliss comme traitement, sont de mme catgorie. Sur ce plan, la psychiatrie est trs, trs en retard sur les autres branches de la mdecine. On pourrait presquĠ nouveau, invoquer le mdecin de Molire.[4]
-les marqueurs thrapeutiques sont, pour le moins, dĠinterprtation trs dlicate (une mta analyse rcente sur les antidpresseurs, a conclu quĠils nĠtaient pas plus efficaces quĠun placebo, terme dsignant un traitement seulement apparent et dnu de toute efficacit relle)
-les marqueurs gntiques ne sont probants que dans un nombre trs limit de cas lĠchelle des individus, psychose bi-polaire en premier lieu.
Les marqueurs gntiques, authentiques mais statistiques, sont inutilisables lĠchelon de lĠapprciation individuelle. A ce propos, l'attention avait t porte sur le fait que la formule gntique masculine XYY, au lieu de la formule normale XY, tait retrouve plus frquemment dans la population carcrale. D'aucuns avaient cru pouvoir conclure une relation entre dlinquance et une soi-disant Ç hypervirilit È. Une analyse plus fine a dmontr que la diffrence s'expliquait totalement par une moindre efficience intellectuelle chez les XYY, comme pour la moyenne des dtenus.
-les marqueurs non biologiques, comme par exemple les questionnaires, sont peu fiables en cas d'expertise pnale, car ils sont trs ouverts la tricherie.
Il y a des cas manifestes, ne posant aucun problme, mais sĠils sont tels pour le psychiatre, ils le sont souvent aussi pour lĠofficier de police judiciaire. Cela mĠarrive trs rgulirement et ne me vexe nullement, bien au contraire. Le rle de lĠexpert se limite alors officialiser et garantir lĠvidence.
De mme, quĠil accepte de lĠavouer ou non, lĠexpert est rassur devant une dcision prendre chez un individu ayant un long pass psychiatrique vident, ou devant un dlire indiscutable.
Ce sont les cas moins vidents qui posent problmes, et le premier dĠentre eux est de savoir ce qui doit tre qualifi de psychiatrique et ce qui ne lĠest pas. Sur ce plan, je suis trs oppos lĠantipsychiatrie actuelle o le symptme pathologique est expliqu par le vcu antrieur, et je suis rest fidle la faon de voir dĠavant 1968, o il nĠy avait pas de spcialit psychiatrique, mais seulement des neuro-psychiatres. Je souligne que la plupart des tudes censes avoir tabli un lien entre un trouble mental et une forme de vcu, sont des tudes rtrospectives pratiquement sans valeur. Seules les tudes prospectives sont valides.
Je pense quĠil nĠy a lieu de parler de psychiatrie quĠau cas o un dysfonctionnement crbral est probable. En cela, je rejoins la manire de voir du DSM IV,(Diagnostical and Statistical Manual of mental disorders). NĠy sont traits cependant que les cas rfrencs.
Dans la pratique, lĠhumilit sĠimpose au premier chef, et il faut reconnatre que la dbrouille et lĠexprience individuelle ne peuvent tre vites.
Il est rare quĠun comportement dlinquant puisse tre class dĠemble comme psychiatrique ou non psychiatrique, et il faut y adjoindre des caractres existentiels :
-le fait est-il unique ou rpt ? En fait, la reconstitution biographique, factuelle et chappant l'interprtation, est essentielle.
-une opinion hostile est-elle porte sur une seule personne (plutt existentiel) ou gnralise (plutt psychiatrique)
-le sujet ne se comporte plus
gnralement comme il se
comportait antrieurement. CĠest le cas manifeste pour le dbut dĠun pisode
maniaque dans une psychose bipolaire, ou Ç le coup de tonnerre soudain
dans un ciel serein È qui marque trs souvent le dbut dĠune
schizophrnie.[5]
Avant de terminer, je voudrais voquer deux exemples des difficults rencontres, qui marquent en fait, les limites dĠune notion de responsabilit. Dans les deux cas, il sĠagit de troubles rpertoris dans le DSM IV parmi les dsordres de personnalit, et ce sont les deux dsordres rencontrs le plus frquemment en situation dĠinfraction suspecte :
Le psychopathe : il sĠagit dĠun individu qui, entre autre, accumule les dlits et qui est particulirement insensible sur le plan affectif et moral, dpourvu notamment de toute empathie.
LĠide quĠil pouvait sĠagir dĠune dviance constitutionnelle de personnalit a t voque, non sans de trs srieuses raisons, vers les annes 1950. Il sĠen est suivi un climat dĠindulgence dont il a t possible de constater quĠil tait tout sauf positif. AujourdĠhui, la dviance constitutionnelle de personnalit est au moins envisage, mais la responsabilit pnale du psychopathe est tout aussi affirme. Ce faisant, on se rapproche de la position du Prsident Chabran, rfutant, comme je lĠai dit, la possibilit dĠapprcier objectivement la responsabilit pnale.
Je souligne que lĠchelle de psychopathie de Hare, parfaitement comprhensible par le non-spcialiste, est de trs grande valeur.
La paranoa : lĠadjectif Ç paranode È est utilis pour traduire une psychose ou un dlire, caractre de perscution. Cela ne pose aucun problme, ni pratique, ni thorique, si ce nĠest que la protection dĠautrui prime alors largement la notion de responsabilit pnale.
Le terme de paranoa caractrise en France, plutt un dsordre de personnalit, sans dlire, avec des ides de mfiance, de jalousie morbide. Je suis personnellement persuad que la paranoa sĠexplique, au moins en partie, partir de facteurs constitutionnels, trs probablement en partie gntiques. Pourtant, la jurisprudence fait une distinction trs nette entre les cas o il existe un dlire et ceux o il nĠy a pas de dlire manifeste. Il faut reconnatre que l encore, cette attitude nĠest cohrente que dans la position du Prsident Chabran.
Ces deux exemples soulignent combien il est vain de penser pouvoir porter un jugement sur la responsabilit pnale, qui reposerait uniquement sur des arguments objectifs de responsabilit individuelle. L'expert psychiatre n'a non seulement aucune raison de s'approprier une capacit particulire pour dfinir les circonstances attnuantes qui relvent de l'autorit du Parquet, mais il se doit mme de rester modeste dans sa capacit apprcier une responsabilit pnale. Par ailleurs, tous les aspects d'interprtation partir d'une conception thorique particulire de la psychologie sont proscrire, et avec elle, toute certitude.
Je reconnais que la validit a priori de lĠexpertise se trouve ainsi srieusement brche. Mais je pense que la volont dĠavoir fait au mieux pour remplir la tche confie, est beaucoup plus positive que des certitudes reposant sur des implicites dont le mieux quĠon puisse en dire, est quĠils ne sont pas dmontrs.
Il reste considrer que la situation aujourd'hui ne doit pas conduire prjuger de la situation pour demain. Les progrs de la biologie et des neurosciences volueront certainement de faon exponentielle dans les annes venir, fournissant des points de vue objectifs nouveaux, conduisant revoir la dtermination de la responsabilit pnale.
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(NB : CĠest
lĠimportance relative accorde des Ç formes È communes universelles
qui assure la diversit du vivant. Cette ide, formule par Geoffroy Saint
Hilaire, il y a prs de deux sicles, est revenue dĠactualit. La diversit du
vivant nĠapparat donc que secondairement au cours du dveloppement pr-natal )
[1]
[1]
[2] (N.B. Si lĠon voulait aller plus loin, il ne
peut tre exclu que le choix final dĠun comportement ne soit pas dtermin,
mais il sĠagit dĠun point inaccessible et dĠun problme insoluble pour
lĠacteur, et encore plus pour lĠobservateur quĠest lĠexpert. En philosophie,
cela sĠappelle Ç LĠUnivers irrsolu È, dcrit par Karl Popper.)
[3]
(N.B. La question pourrait se poser de
savoir si un tel fait ne sĠexplique pas parce que les dlinquants de faible
efficience sont plus facilement reprs et convaincus ! Personnellement je
ne le pense pas)
[4] LĠouvrage de Gaston Bachelard, Ç La formation de lĠesprit scientifique È, est passionnant sur ce plan.
[5] (il y a 70 ans, il tait classique dĠajouter que si le sujet lui-mme est le premier sĠapercevoir de lĠapparition dĠun trouble, cĠest une nvrose ; si lĠentourage fait le diagnostic le premier, cĠest une psychose, et que la psychiatrie srieuse ne va pas plus loin)