Des tortues jusqu'en bas

 

"Remets-toi ˆ ignorer ce que tu sais, pour savoir comment tu le savais et savoir ton savoir."

 

Paul ValŽry

 

"Sur des centaines d'hypothses Žgalement admirables quant ˆ la dŽmarche de l'esprit, une seule est vŽrifiŽe par l'expŽrience."

Jean FourastiŽ

 

 

 

Bien que l'importance du fait n'ait ŽtŽ soulignŽe qu'il y a peu par K. Popper, il y a toujours une rŽponse immŽdiate qui vient ˆ l'esprit, devant toute situation qui pose problme, qu'il s'agisse d'un ŽvŽnement concret nouveau ou d'une difficul de flexion. La plupart des gens s'arrtent ˆ cette rŽponse immŽdiate quand il n'y a pas Žvidence de son inadaptation, mais plus encore, une majori des psychiatres et des psychologues, qui postulent "un savoir qui se contente de toujours commencerÉ., commencer ˆ savoir pour n'y pas arriver" a reconnu Jacques Lacan dans une autocritique pronone en 1977 ˆ Bruxelles. En un mot, psychiatres et psychologues se centrent sur les "possibles", et ils adoptent en bloc et sans trop de critique, les idŽes de qui les a sŽduit. Ils ne se posent aucune question sur le pourquoi et le comment du progrs technique qui les fait vivre aujourd'hui.

 

Il y a pourtant de trs nombreuses  raisons qui font que la plupart  des rŽponses immŽdiates sont erronŽes en situations complexes. G. Bachelard oppose avec raison "sa" vŽrification, ˆ l'esprit qui n'est fait que d'idŽes "essayŽes". Le vŽritable progrs de la connaissance consiste donc dans une correction d'erreurs premires, ce qui est le propre de l'approche scientifique. Ainsi s'explique que Bachelard ait pu Žgalement dire,  en jouant sur le mot "expŽrience", que l'expŽrience scientifique contredit l'expŽrience commune. Ainsi s'explique Žgalement la nŽcessi absolue de suivre le conseil donnŽ par Paul ValŽry, et rappelŽ en exergue.

 

Or, ce n'est pas seulement sur le plan des dŽcouvertes matŽrielles que la Science a fait une avane considŽrable depuis le but du XVIIme sicle. Cette avane se retrouve dans l'analyse thŽorique de la marche cognitive et scientifique, et par-lˆ, dans l'analyse culturelle.

 

Les Žbauches tout ˆ fait remarquables de nodote, au IIme sicle AD, Žtaient reses lettres mortes. C'est seulement vers 1680 que Robert Boyle a vraiment crit la mŽthode expŽrimentale que Lavoisier devait reprendre un sicle plus tard, et qui jette un jour entirement nouveau sur le sens de la nature et de l'acquisition des connaissances en gŽnŽral, en mme temps que se trouve nŽrŽe une mŽfiance vis ˆ vis du discours.

 

Le succs de l'approche expŽrimentale en physique, chimie et biologie au XIXme sicle prŽpara ensuite  la rŽvolution ŽpistŽmologique introduite par  C.S. Peirce ˆ partir de 1883. Ce dernier condamna implicitement la logique de certitude d'Aristote, basŽe sur une acceptation a priori de la validi des concepts et de vŽritŽs premires. Il montra que l'activilogique n'a de sens que devant le  constat du fait inexpliquŽ ou surprenant. Il faut alors formuler des hypothses cohŽrentes qui conduisent ˆ organiser une vŽrification expŽrimentale : c'est lˆ que rŽside le seul intŽrt de l'hypothse. Si cette vŽrification est positive, il faut en tirer des conclusions seulement vraisemblables et non certaines. Les positions de Peirce doivent tre complŽtŽes par le principe de Duhem-Quine, rappelŽ plus loin, en faisant remarquer que toute hypothse repose sur des hypothses plus fondamentales acceptŽes implicitement auparavant, selon un schŽma hiŽrarchique et concentrique.

 

Le relativisme ne fit ensuite que se velopper, indŽpendamment de la flexion de C.S. Pierce.

Hertz montra peu aprs que la cohŽrence des thŽories newtoniennes venait de ce que les concepts de masse, de temps, d'espace, utilis par Newton Žtaient finis selon ces thŽories, le tout reposant donc sur un circuit flottant en boucle fermŽe.

 

Les mathŽmatiques elles-mmes furent envahies, avec le thŽorme d'indŽcidabili de Gšdel. Mais auparavant, ˆ partir de 1904, P. Duhem avait commen ˆ nŽraliser le relativisme en affirmant qu'aucune assertion, en physique, n'est indŽpendante d'autres assertions. Ce sont probablement des motifs d'ordre religieux qui l'empchrent de nŽraliser ce principe ˆ toute forme de connaissance, ce que fit W.V.O. Quine, quelques cinquante ans plus tard. L'ensemble de ces conceptions est qualifiŽ dans les pays anglo-saxons de thse de Duhem-Quine, et a une trs large audience. Cette thse rejoint et complte le relativisme de C.S. Peirce. Toute connaissance nouvelle repose sur d'autres connaissances acquises antŽrieurement et appartenant ˆ d'autres domaines, souvent trs ŽloignŽs. A la base, on tombe sur des axiomes indŽmontrables qui doivent temporairement tre acceptŽs comme tels. C'est ainsi,  notamment, que ce sont les connaissances ˆ notre Žchelle humaine, qui prŽparent et conditionnent les connaissances aux Žchelles inaccessibles, celles du temps passŽ, du microscopique et de lÕastronomique. Le systme cognitif global est un seau trs richement interconnectŽ, mais flottant.

 

Une anecdote amusante, pour illustrer le relativisme culturel, attribuŽe ˆ tort ˆ William James,  est rapportŽe en 1973 par Clifford Geertz dans "The interpretation of culture", mais avait probablement Ž diffusŽe auparavant : "Un ethnologue anglais rencontre un indien qui lui explique que le monde est posŽ sur une plateforme, elle-mme dŽposŽe sur le dos d'un ŽlŽphant, qui est, quant ˆ lui sur le dos d'une tortue. L'ethnologue demande sur quoi la tortue est posŽe et il lui est rŽpondu : "sur une autre tortue". L'ethnologue demande alors sur quoi est posŽe cette autre tortue, et il lui est rŽpondu "Ah!!, Sahib, ensuite, ce sont des tortues jusqu'en bas!!!". Clifford Greetz reprend l'anecdote et lui donne une forte signification, en disant qu'il n'avait lui-mme jamais pu aller au fond d'une rŽali ˆ propos de laquelle il avait Žcrit quelque chose. "L'analyse culturelle est intrinsquement incomplte, dit-il, et pire encore, plus on l'approfondit, moins elle est complte."

 

 

Cette incomplŽtude entrane comme consŽquence obligŽe, que la connaissance doit

demeurŽe ouverte sur des corrections ˆ venir.

Encore faut-il s'assurer qu'il n'existe pas jˆ des corrections disponibles qui ont Ž nŽgligŽes. S'assurer d'tre bien aller jusqu'en bas, c'est donc notamment actualiser en permanence.

 

Claude Bernard a trs justement Žcrit dans son "Introduction ˆ la MŽthode expŽrimentale" :  Ç qu'une thŽorie, pour rester bonne, doit toujours se modifier avec les progrs de la science et demeurer constamment soumise ˆ la rification et ˆ la critique des faits nouveaux qui apparaissent. Si on considŽrait une thŽorie comme parfaite et si l'on cessait de la vŽrifier par l'expŽrience scientifique journalire, elle deviendrait une doctrine. Une doctrine est donc une thŽorie que l'on regarde comme immuable et que l'on prend pour point de dŽpart de dŽductions ultŽrieures, que l'on se croit dispensŽ de soumettre dŽsormais ˆ la rification expŽrimentale È.

 

Au total, dans toute marche de connaissance, il faut renoncer aux certitudes, et se limiter ˆ la satisfaction d'avoir poursuivi l'analyse "jusqu'au bas d'aujourd'hui", en acceptant le fait que ce ne sera certainement pas "le bas de demain". Mais o trouver le bas d'aujourd'hui ?

 

Il me semble qu'un bon point de dŽpart consiste ˆ intŽgrer l'aboutissant du relativisme physique. L'Žlaboration de la mŽcanique quantique a ouvert un point de vue tout ˆ fait nouveau qui appara”t tout spŽcialement dans les analyses ŽpistŽmologiques de Niels Bohr et Werner Heisenberg : "Nous devons nous rendre compte que nous ne sommes pas spectateurs, mais acteurs dans le thŽ‰tre de la vie ".

 

 J'aurai tendance ˆ corriger partiellement cet aphorisme en disant que nous sommes simultanŽment spectateurs et acteurs au thŽ‰tre de la vie en suivant Spencer-Brown :  Le travail d'Einstein, Schršdinger et autres, semble avoir conduit ˆ la rŽalisation d'une frontire ultime d'une connaissance du monde physique sous la forme d'un Žcran au travers duquel nous le percevons. Si certains faits de notre expŽrience commune de perception, ou ce que nous pouvons appeler le monde intŽrieur, peuvent tre rŽvŽlŽ par une Žtude Žtendue de ce que nous appelons par contraste, le monde extŽrieur, alors une Žtude Žgalement Žtendue de ce monde intŽrieur, rŽvŽlera en retour les faits initialement rencontrŽs dans le monde extŽrieur, car ce que nous approchons dans les deux cas, par une face ou par lÕautre, est leur frontire commune ". Encore faut-il prendre en compte les particularitŽs fonctionnelles de "l'acteur" humain.

 

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De la tortue achillŽenne ˆ la tortue simonienne.

 

Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortue
Pour l'‰me, Achille immobile ˆ grands pas!

 

Dans le problme posŽ par ZŽnon d'ElŽe puis repris par Lewis Caroll, Achille ne parvient pas ˆ rattraper la tortue, ni ˆ la course, ni dans une discussion logique. Par ailleurs, Clifford Geertz reconna”t qu'il n'est jamais parvenu ˆ atteindre la tortue du bas. Qu'en est-il dans la vie rŽelle ?

 

Un point trs important a ŽtŽ abordŽ par Herbert Simon dans le cadre de "la rationalitŽ limitŽe".  Dans un premier ouvrage, "Administrative Behavior", H. Simon critique, sans prŽsenter beaucoup d'arguments les Žtudes de prise de dŽcision qui exigeraient une rationalitŽ parfaite comme le voudrait, par exemple, la thŽorie des jeux de von Neumann et Morgenstern.

En dehors des modles artificiellement simplifiŽs, H. Simon indique qu'il y a trs vite des limites psychologiques qui ne permettent de traiter les problmes en explorant compltement toutes les variables isolŽes et leurs combinaisons. A l'aide de nombreux exemples concrets, il montre que les dŽcisions, mme les plus importantes sont prises ˆ partir d'explorations trs limitŽes.

 

Dans la suite de ses recherches, H. Simon parvient ˆ justifier cette attitude en la rattachant ˆ des "infirmitŽs du fonctionnement cŽrŽbral" :

 

-la constante de temps qui marque une opŽration cŽrŽbrale ŽlŽmentaire est de l'ordre de 50 ms, permettant seulement 20 opŽrations par seconde, ˆ comparer aux deux milliards d'opŽrations par seconde d'un bon ordinateur familial rŽcent.

 

-comme l'a fait remarquer Jean FourastiŽ, le cerveau ne fait qu'une opŽration ˆ la fois, alors qu'un ordinateur familial ŽquipŽ d'un processeur "quad" en fait simultanŽment plusieurs dizaines.

 

-la mŽmoire immŽdiate cŽrŽbrale ne peut pas retenir plus de sept donnŽes, par exemple, sept chiffres qui se suivent dans le dŽsordre. Au delˆ, le cerveau est obligŽ de stocker plus ou moins provisoirement les donnŽes, dans des systmes o la mŽmorisation est beaucoup plus lente, et quitte le domaine de la mŽmoire immŽdiate.

 

Pourtant, remarque H. Simon, le cerveau peut se montrer plus efficace que l'ordinateur, par exemple dans le jeu d'Žchec :

 

- c'est donc que le cerveau ne fait pas appel ˆ une exploration "tactique" complte, mais procde en choisissant des "stratŽgies" qu'il estime a priori efficace sans pouvoir en effectuer la dŽmonstration.

 

- le choix d'une stratŽgie rŽsulte d'une culture antŽrieure qui joue un r™le aussi important que le dŽroulement opŽratoire proprement dit, dans la prise de dŽcision.

 

Ces donnŽes s'intgrent parfaitement dans le principe de Duhem-Quine, et l'acquisition de connaissances nouvelles. Un problme nouveau ne peut tre abordŽ que par le milieu, avec un grand nombre de prŽmisses acceptŽes sans preuve et un dŽveloppement limitŽ d'hypothses. Biologiquement, il ne peut en tre autrement.

 

Dans une approche technique, le rŽsultat concret constituant la solution au problme posŽ, est le rŽgulateur final. Il en est tout autrement dans la recherche d'un progrs thŽorique cognitif, qu'il s'agisse du dŽveloppement individuel de l'enfant ou de l'adulte. Seuls, des critres subjectifs de satisfaction peuvent intervenir pour suspendre l'exploration tactique.

Chez l'enfant, la culture du groupe dans lequel il Žvolue, assure une rŽgulation, et si l'enfant a les capacitŽs suffisantes, le progrs s'effectue spontanŽment jusqu'ˆ l'assimilation des donnŽes culturelles les plus habituelles. C'est le "time binding" de Korzybski.

Une telle attitude n'est plus possible, ˆ la pointe de l'Žvolution culturelle, et il demeure un choix ˆ faire entre plusieurs options contradictoires.

Ds lors s'ouvre le conflit entre la rigueur et les "mythologies" au sens de Roland Barthes. Il est Žvident qu'il y a, chez la plupart, des "blocages" subjectifs et affectifs qui limitent la rŽflexion. Seule, une recherche dŽlibŽrŽe que je nommerai une "saine curiositŽ" peut aller au delˆ de ces blocages. " Le premier prŽcepte est de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse Žvidemment comme telle, c'est ˆ dire d'Žviter soigneusement la prŽcipitation  et la prŽvention.".

 

Il y a lˆ un des thmes centraux de "L'introduction ˆ la mŽthode de LŽonard de Vinci". Trs justement, Paul ValŽry condamne la spŽcialisation et montre que les grands esprits ont ŽtŽ universels : "Il serait facile de montrer que tous les esprits qui ont servi de substances ˆ des gŽnŽrations de chercheurs et d'ergoteurs, et dont les restes ont nourri, pendant des sicles, l'opinion humaine, la manie humaine de faire Žcho, ont ŽtŽ plus ou moins universels. Les noms d'Aristote, Descartes, Leibniz, Kant, Diderot, suffisent ˆ l'Žtablir.".

A la rŽflexion, ValŽry a supprimŽ avec raison, le nom de Diderot, et je rajoute personnellement le nom de ValŽry.

Mais si ces esprits ont ŽtŽ universels, c'est avant tout parce qu'ils Žtaient curieux,  refusaient de s'arrter ˆ leur propre domaine et aux idŽes toutes faites, et cherchaient ˆ aller plus loin.

 

Cependant la curiositŽ ne suffit pas. Il faut savoir l'orienter correctement puisque les limites du fonctionnement cŽrŽbral ne permettent pas une exploration tactique complte. Comment donc aller plus loin ?

 

- un premier principe universel a ŽtŽ formulŽ une premire fois en 1710 par Giambattista Vico, le pre du constructivisme, et doit tre respectŽ. "Les choses correspondent toutes les unes aux autres de manire ŽquilibrŽe", dit Vico,  ce qui est une autre manire d'aborder la thse de Duhem Quine. L'important n'est donc pas de chercher ˆ tre le premier dans un domaine particulier, mais bien de s'efforcer ˆ tre second dans tous les domaines. Aucun domaine ne doit tre considŽrŽ a priori comme Žtranger ˆ une approche, quelle qu'elle soit.

 

- le second principe, plus actuel, est d'appliquer l'aphorisme de Niels Bohr dŽjˆ citŽ "Nous devons nous rendre compte que nous ne sommes pas spectateurs, mais acteurs dans le thŽ‰tre de la vie." C'est donc dans la prŽcision des liens Žtablis entre notre propre nature, notre activitŽ rationnelle, et le systme universel de connaissance que nous avons construit, qu'il nous faut chercher la tortue du bas.

 

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Il me semble que les progrs des neurosciences ont introduit une donnŽe nouvelle en permettant de considŽrer expŽrimentalement lÕhomme psychologique, non pas seulement comme un sujet de connaissance, mais aussi comme un objet de connaissance, ce que P. Duhem s'Žtait refusŽ ˆ faire.

 

Ce dernier avait en revanche remarquablement Žtabli une distinction entre une approche de la connaissance reposant sur des rgles rationnelles universellement acceptŽes, et un engagement mŽtaphysique  individuel et inŽvitable, au-delˆ des domaines que la science pouvait aborder. Mais Duhem avait mal placŽ la frontire en rejetant toute approche du fonctionnement mental dans la mŽtaphysique.

 

Cependant, loin de moi toute idŽe de rejet de la mŽtaphysique qui demeure un temps essentiel de la rŽflexion humaine lorsqu'elle accepte de se situer effectivement "aprs la physique", mais l'Žtude des mŽcanismes mentaux appartient aujourd'hui en grande partie au domaine de la Science expŽrimentale.

 

 

Trois approches me paraissent essentielles :

- la faon dont nous apprŽhendons le monde

- comment se construit le cerveau durant la pŽriode prŽnatale, ce qui conduit ˆ prŽciser ce que contient le cerveau ˆ la naissance, ce qu'il peut et surtout, ce qu'il ne peut pas encore

- les mŽcanismes de la mŽmoire que je prŽsente par ailleurs (MŽmoire et Cerveau, ou la nature de la mŽmoire), et ne reprend donc pas ici.

 

Cependant, je voudrais rappeler auparavant l'ultime formalisation de l'approche scientifique qui se sume ˆ deux donnŽes essentielles :

-     la relation rŽpŽtable finie par Jean Ullmo

-     le caractre transitif du discours ou de la parole, prŽci notamment par Paul ValŽry

 

 

La relation rŽpŽtable :

 

Ne peut tre retenue comme base d'une approche scientifique, que ce qui peut tre rŽpŽtŽ ˆ volontŽ. Cette rŽpŽtition est ˆ la base mme de l'expŽrience scientifique : chaque fois que je verse une goutte de teinture de tournesol dans une solution acide, elle vire au rouge, ou alors jÕai le droit dÕaffirmer quÕil ne sÕagissait pas dÕune solution acide. La rŽpŽtition peut se rencontrer durant l'observation : chaque fois que je braque mon tŽlescope sur l'endroit o est supposŽe passer la plante Mars, je vois cette plante. "Il faut n'appeler Science, que l'ensemble des recettes qui rŽussissent toujours. Tout le reste est littŽrature."( P. ValŽry, MoralitŽs,1931)

 

En fait, le "toujours" est un peu de trop, mais lorsque Paul ValŽry a publiŽ "Moralis", les travaux de Fisher et Gossett sur l'Žtude statistique des petits Žchantillons, Žtaient encore confidentiels. La rŽpŽtabili parfaite s'applique en effet assez mal ˆ l'Žtude du comportement humain, mais il est possible de pallier cet inconvŽnient.

 

Rechercher la reproduction d'un comportement sur de nombreux individus, en comparant Žventuellement deux groupes, diffŽrant systŽmatiquement sur une seule variable, est un Žquivalent de rŽpŽtition qui peut affiner l'observation, et qui Žtend considŽrablement le champ des relations rŽpŽtables. Par exemple, Meltzoff a ŽtudiŽ chez le nouveau-nŽ, la reproduction sur le propre visage de ce dernier, de la mimique d'un expŽrimentateur. Partant de cinq mimiques distinctes d'expŽrimentateur, et demandant ˆ un examinateur indŽpendant de qualifier la mimique de l'enfant apparue dans les minutes suivant l'exposition, la classant selon l'une des mimiques d'observateur, il a trouvŽ une correspondance de 50 ˆ 60 % lˆ o le hasard n'aurait donner qu'une correspondance de 20 %. Le traitement statistique ŽlaborŽ par Fisher et Gossett montre que la diffŽrence de 20 ˆ 50/60 est "hautement significative" compte tenu de l'Žtendue de l'Žchantillon d'Žtude, mme si la rŽpŽtition n'est pas parfaite. Toutes les Žtudes sur le trs jeune nourrisson, reposant sur des pratiques similaires, ont consirablement enrichi nos connaissances sur la naissance des connaissances. Je cite ces donnŽes en estimant que le champ des relations "rŽpŽtables" a ŽtŽ ainsi considŽrablement accru dans les sciences humaines depuis 1980, ce qui dŽvalorise d'autant ce qui n'est pas une relation rŽpŽtable, notamment l'appel ˆ l'anecdote ou ˆ l'interprŽtation rŽtrospective isolŽe, ˆ la Dolto.

 

Le caractre transitif du langage :

 

La plupart des mots et les concepts qu'ils recouvrent sont totalement finis par d'autres mots, selon un processus hiŽrarchisŽ, ce qui est le vŽritable sens de la flexion de Ferdinand de Saussure qui n'a jamais parlŽ de structures ou structuralisme, mais bien d'un systme d'interconnections du sens des mots.

Si on essaie alors "d'aller jusqu'en bas", on trouve  deux types de mots plus fondamentaux que les autres :

 

 

- les mots multiordinaux, selon la finition de Korzybski, comme  Ç et È, Ç ou È, Ç ni È,

Ç faux È, Ç vrai È ou mme Ç cause È, Ç effet È etc, qui sont en fait des mots de liaison qui apportent une correction ou une signification supplŽmentaire ˆ une proposition. Ce sont de simples liens logiques, dont la signification dŽpend des ŽlŽments reliŽs.

 

-  des mots semi-abstraits paraissant avoir une signification propre. Il est facile de montrer que ces mots crivent en nŽral au dŽpart, une action humaine non verbale. Comme le fait remarquer Jean Ullmo, le terme de longueur n'est pas premier mais il est une simple quantification secondaire de l'activi de l'arpenteur qui avait dŽbutŽ antŽrieurement. C'est donc le terme "arpenteur" qui est "au bas de l'Žchelle", avant le terme Ç longueur È, et qui dŽcrit l'individu qui agit en vue d'obtenir une mesure dite secondairement de longueur.

 

 

Tout le discours se rŽsout alors ˆ ceci, comme lÕa dit P. ValŽry :

- en ceci que je touche du doigt en prononant un mot

- en cela que je fais ou mime en prononant un mot.

J'y ajoute :

- en cela que fait ce que je touche du doigt en prononant des mots.

 

Avec Paul ValŽry, je crois trs fermement que le secret de la pensŽe solide rŽside dans la dŽfiance des langages, que le langage est plus propre ˆ la poŽsie quÕˆ lÕanalyse.

 

Indirectement, le dŽveloppement des neurosciences devrait conduire au rejet de toutes les formes masquŽes de rŽalisme platonicien. Il y  lˆ en puissance, une rŽvolution ŽpistŽmologique aussi capitale que celle introduite par Thals lorsquÕil contesta lÕexplication des phŽnomnes naturels par lÕintervention des dieux. Ce nÕest malheureusement pas pour demain : Ç Personne ne croit plus aux IdŽes de Platon, mais cette mythologie intellectuelle a pris rang dans les moyens de pensŽe de tout le monde È. JÕajouterai quÕau premier rang de ce Ç tout le monde È on trouve malheureusement la majoritŽ des psychologues et des psychiatres franais qui trouvent lˆ le moyen dÕarrondir leur fin de mois.

 

Il rŽsulte de tout cela, que le discours ne peut tre la source de connaissances gŽnŽralisables nouvelles, exceptŽ dans la connaissance rŽciproque de deux personnes, l'une par l'autre, en dialogue de rŽsonance. (R. Thom, 1968).

En dehors de ce cas particulier, le discours  rŽsume seulement les connaissances acquises antŽrieurement, et permet de les mobiliser aiment pour soi, ou pour les transmettre ˆ autrui. L'activi expŽrimentale humaine non verbale, montrant la rŽpŽtabilitŽ, est la source unique du dŽveloppement de la connaissance.

 

En finitive, la marche "jusqu'en bas" et le dŽveloppement des connaissances doivent tre assurŽs en dehors du discours :

- par l'exploitation des relations rŽpŽtables nouvelles, couvertes plus ou moins par hasard

- par l'approche expŽrimentale des hypothses implicites qui demeurent ouvertes comme, par exemple, les principes de complŽmentari et d'incertitude de la mŽcanique quantique

- par l'Žtude des mŽcanismes cŽrŽbraux humains ˆ l'origine des connaissances. C'est ce dernier point que je vais tenter de velopper.

 

 

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De quelle faon apprŽhendons nous le monde ?

 

La perception du monde s'est effectuŽe bien avant que puissent tre analys les mŽcanismes qui assurent cette perception. Ainsi s'explique le dŽcalage colossal qui existe aujourd'hui entre la conception du monde de tout un chacun et la marche "jusqu'en bas" qui essaye de prendre en compte la connaissance neuro-psycho-physiologique des mŽcanismes de perception

 

A) Nous ne pouvons percevoir puis conna”tre, que ce qui entre en contact avec nous.

 

Cette intuition niale de mocrite est aujourd'hui totalement montrŽe, mme s'il n'est plus fait appel au contact avec les "atomes" conus par mocrite. Ce sont les rayonnements, les vibrations, les diffusions gazeuses, la convectionÉ, qui supplŽent  et compltent le contact physique direct du toucher.

 

Spencer-Brown l'a bien exprimŽ, mais de faon encore incomplte, comme je l'ai rappelŽ plus haut  : tout ce que nous approchons est la frontire  commune entre nous et l'environnement."(laws of form, 1969)

 

B) Il en rŽsulte que ce que nous pouvons conna”tre n'est pas le monde lui-mme mais les transformations que nous subissons nous-mme au contact du monde.

 

A titre d'exemple, ce que nous apprŽcions n'est pas la tempŽrature d'un objet en contact, mais la tempŽrature de notre peau qui a ŽtŽ modifiŽe par ce contact. Ainsi s'explique qu'un corps  trs bon conducteur thermique paraisse plus froid ou plus chaud qu'un corps mauvais conducteur ˆ tempŽrature Žgale.

 

Ce que nous entendons ne sont pas des vibrations aŽriennes ni mme des vibrations du tympan, mais les dŽcharges nerveuses des cellules de la cochlŽe. S'il y a des modifications durant le transfert entre l'air et la cochlŽe, nous ne les percevons pas. Ainsi s'explique que nous accordions ˆ peu prs la mme intensitŽ sonore ˆ une voix Žmise dans un silence durable et total, et lorsqu'il y a un bruit de fond trs ŽlevŽ, alors que dans le second cas, l'intensi proprement physique peut tre dix mille fois plus ŽlevŽe que dans le premier cas.

 

 La couleur que nous croyons voir n'a pas d'existence physique en tant que telle. Ce que nous "voyons" est le rŽsultat de trois charges diffŽrentes de trois types de cnes de la tine, combinŽes ensuite par les centres nerveux, calculant la couleur moyenne de l'ambiance, et colorant les objets par rapport ˆ cette ambiance. L'environnement n'est pas colorŽ en soi.

 

L'odorat est un exemple tout aussi significatif. Nous ne sentons pas le monoxyde de carbone que nous qualifions dÕ "inodore", et dŽtectons immŽdiatement l'hydrogne sulfurŽ qui nÕest rien dÕautre que des atomes dÕhydrogne et de soufre, comme le premier nÕest rien dÕautre que des atomes dÕoxygne et de carbone. La diffŽrence ne peut donc venir que des rŽcepteurs olfactifs. Le qualificatif "inodore"  utilisŽ en chimie nÕest pas relatif au corps concernŽ mais ˆ lÕolfaction.

 

De proche en proche, ces principes marquent les conceptions cognitives les plus complexes et les plus abstraites, puisque ces conceptions ne peuvent exister que par une "rŽflexion" sur le contact avec l'environnement.

 

C)Le mŽcanisme physique de la transmission d'information ˆ l'Žchelle molŽculaire traduit trs exactement cette double rŽalitŽ.

 

Comme je l'illustrais jˆ en 1989, (fig), les informations venues du monde extŽrieur, ˆ l'Žchelle de la cellule comme ˆ celle de l'organisme entier, se font sans rupture de frontire, respectant donc les deux principes expos ci-dessus et la notion de cl™ture opŽrationnelle, postulŽe par Maturana et Varela.

 

Des microstructures  de surface spŽcialisŽes sont formŽes sur leur face extŽrieure par le corps Žtranger porteur d'information. Lorsqu'un modulateur l'autorise, la dŽformation est transmise ˆ la face intŽrieure par un effecteur  qui induit une modification d'un cycle continu d'assimilation interne. Ce que nous ressentons n'est pas le corps Žtranger externe, mais la modification interne du cycle d'assimilation.

 

 

 

R.I.S. 3,3, pg 277. Paris, 1989. TirŽ de Biochimie Dynamique, J.P. Borel, Paris 1987. Comparez avec le schŽma de S.F. Scott, 2006, en fin de texte.

 

 

 

D)Un rŽcepteur sensoriel ŽlŽmentaire ne dit pas "quoi".

 

C'est peut tre le point le plus fondamental dans la descente jusqu'en bas. Le principe en a ŽtŽ formulŽ par Joachim Muller vers 1830, et il a ŽtŽ totalement montrŽ et prŽci depuis : un rŽcepteur sensoriel ŽlŽmentaire donne une rŽponse identique et unique, (un seul bit, dirait un informaticien) quelle que soit la nature de l'excitant, donc quel que soit le spectacle ou l'ŽvŽnement perus, ou alors il ne rŽpond pas. Ce bit unique ne correspond pas ˆ une particularitŽ du monde extŽrieur mais ˆ lÕenveloppe de nos comportements possibles. Il e rŽsulte quÕen fin de comptes, toute connaissance est relative ˆ ce que nous sommes. Il importe assez peu, car comme le rappelle Spencer Brown, la forme ne sert quÕˆ distinguer. 

Par ailleurs et en dŽfinitive, la variŽtŽ d'une perception ne peut trouver son origine dans le rŽcepteur sensoriel considŽrŽ isolŽment, mais dans lÕensemble des rŽcepteurs sensoriels excitŽs diffŽremment au mme moment par un mme ŽvŽnement.

 

Il existe quelques cent millions ou plus, de rŽcepteurs ŽlŽmentaires, et ils diffrent tous les uns des autres, soit en raison de l'emplacement, soit sur le plan de la sensibilitŽ aux diffŽrents excitants physiques. Ainsi, un c™ne de la rŽtine rŽpond de faon identique ˆ la pression (le coup de poing qui fait voir 36 chandelles), aux vibrations, aux variations de tempŽrature, au passage du courant Žlectrique, au rayonnementÉ, mais le seuil de rŽponse pour un rayonnement de frŽquence prŽcise, est, en terme d'Žnergie, des milliards de fois plus bas que pour les autres excitants, en dehors des rayonnements de fquence voisine. La couleur ne provient pas seulement dÕun c™ne excitŽ isolŽment, mais de lÕŽtat dÕexcitation conjointe des c™nes voisins. LÕexcitation dÕun mme c™ne gŽnŽrera plusieurs couleurs diffŽrentes en fonction de lÕexcitation des c™nes voisins.

 

Se poserait alors un problme thŽorique de computation : comment dŽfinir dans l'instant une perception globale par confrontation de plus de cent millions de donnŽes se renouvelant environ 10 fois par seconde, avec une constante de temps dans le fonctionnement cŽbral qui est au mieux de vingt millisecondes ? Une computation strictement sŽriŽe est Žvidemment impossible.

 

La solution adoptŽe par la Nature au cours de l'Žvolution semble bien avoir ŽtŽ celle-ci : un traitement immŽdiat essentiellement en parallle avec un nombre trs limitŽ d'Žtages sŽriŽs. Le mŽcanisme est extrmement efficace et permet des discriminations perceptives trs fines. L'organisation des aires perceptives assurant ce mŽcanisme de traitement en parallle, est principalement innŽe, et donc aucun apprentissage prŽalable n'est nŽcessaire, contrairement ˆ ce que pensait Piaget.

 

Mais il y a une consŽquence capitale. Ce que nous "connaissons" du monde n'est donc pas "le monde en soi", mais le rŽsultat d'une Žlaboration cŽrŽbrale extrmement spŽcifique et particulire, parmi un nombre considŽrable d'Žlaborations diffŽrentes thŽoriquement possibles. Protagoras avait donc raison, qui affirmait que l'homme est la mesure de toutes choses. CÕest Žgalement la notion extrmement riche de Ç own world È, postulŽe par Georges Lerbet ( 1997)

 

 Par ailleurs, il faut encore noter que "nous pouvons observer et voir ce qui se passe dans notre tte, et nous ne pouvons observer ni voir rien d'autre. Le ciel ŽtoilŽ que nous fait conna”tre la sensation visuelle est ˆ l'intŽrieur de nous. Le ciel ŽtoilŽ auquel nous croyons est infŽrŽ.(B. Russell)."

 

"La perception n'est pas une analyse passive d'images projetŽes sur une sorte d'Žcran antŽrieur, elle ne s'Žlabore qu'ˆ la faveur d'une exploration active qui, ˆ chaque fois, construit le monde peru comme une sorte de modle hypothŽtique du monde el." (Boisacq-Schepins et Crommelink, Louvain, 1993).

 

Il y aurait encore lieu de citer Henri PoincarŽ : "La nature nous para”t enfermŽe dans des cadres que nous nommons le temps et l'espace ; en fait, ce n'est pas la nature qui nous les impose, c'est nous qui les imposons ˆ la nature parce que nous les trouvons commodes."

 

Lˆ encore, on retrouve l'intuition niale de mocrite qui avait dŽcrit une transcription globale ˆ partir des "simulacres", et qui nŽcessitaient que ceux-ci soient ensuite interprŽtŽs par l'intellect.

 

Signifier une sensation revient donc en fin de compte ˆ identifier les rŽcepteurs sensoriels qui ont ŽtŽ excitŽs par un ŽvŽnement, puis ˆ rŽflŽchir sur le sens ˆ donner ˆ cette excitation.

 

En conclusion, "la connaissance" du monde n'est nullement le monde, mais une construction subjective, une faon d'tre du cerveau (a mode of itself en anglais, G. Edelman, prix Nobel,  1978)  qui ne peut trouver sa raison d'tre que par son utilitŽ sur le plan pratique, d'une prŽvision de rŽpŽtabilitŽ. La description du big bang et des premiers temps du monde ne  dŽpasseront le schŽma  seulement "commode",  et ne prouveront leur utili que le jour o elles seront reproduites expŽrimentalement. La connaissance du monde ˆ une Žchelle astronomique exprimŽe en mots et formules, est seulement un moyen commode pour sumer et donc transmettre ou mobiliser les donnŽes expŽrimentales recueillies.

 

Comme l'a trs bien dit Korzybski ds 1933, donc bien avant que le progrs des neurosciences ne valide totalement ce point de vue, les mots ne sont pas "la chose" dont on parle, la "carte" n'est pas le "territoire", mais si la carte est correcte, elle a la mme structure formelle que le territoire, ce qui rend compte de son utilitŽ, et seulement de son utilitŽ. Nous savons aujourd'hui que l'aphorisme de Korzybski ne s'applique pas seulement aux mots, mais Žgalement aux images perceptives

 

 

E) Le principe Richalet

 

CÕest une autre faon de considŽrer la connaissance, cependant trs voisine de celle de Spencer_Brown. Le point fixe de dŽpart est la perception, surtout et toujours initialement, la perception visuelle. Mais une mme perception peut correspondre ˆ une multitude dÕŽvnements extŽrieurs possibles, chacun dÕeux correspondant ˆ une interprŽtation intŽrieure propre et spŽcifique. CÕest une meilleure prŽcision des mŽcanismes dÕinterprŽtations qui permet de limiter le nombre dÕŽvnements vraisemblables, et cÕest la meilleur dŽfinition des Žvnements qui permet de mieux dŽfinir les mŽcanismes internes de la perception et leur interprŽtation.

Je dois ce principe essentiel ˆ mon ami Jacques Richalet, ce qui me conduit ˆ lÕappeler principe Richalet.

CÕest ainsi le colorimtre qui a permis de dŽfinir la couleur indŽpendamment de lÕimpression colorŽe. En retour, cette Žvaluation indŽpendante de la couleur a permis de dŽcouvrir le mŽcanisme interne de constance de la couleur, en dŽpit de lÕambiance, qui favorise la reconnaissance dÕun mme objet dans des ambiances diffŽrentes.

 

F) La cl™ture organisationnelle

 

Ce principe, mis en avant par Maturana et Varela est encore plus important que la notion dÕautopo•se, qui est une consŽquence obligŽe de la cl™ture. Dans le dŽveloppement de la PensŽe, la notion de cl™ture organisationnelle traduit une rŽvolution aussi importante que le Ç contact È de DŽmocrite, en venant expliquer le pourquoi du r™le du contact.

Selon les auteurs, toutes les Ç choses vivantes È, au sens donnŽ par Bateson, sont enfermŽes dans une cl™ture qui contr™le totalement tous les Žchanges avec lÕenvironnement, compatibles avec lÕintŽgritŽ de ces choses.

Sur le plan de la connaissance, cela signifie que toute donnŽe cognitive externe doit tre prŽalablement assimilŽe en Žquivalent cognitif interne avant de pouvoir tre utilisŽ.

Cette notion de cl™ture, trs fortement ŽtayŽe sur le plan biologique, condamne donc tout rŽalisme au sens philosophique ou platonicien du terme.

 

Comme toute forme dÕidŽalisme prŽalable ˆ lÕexpŽrience se trouve Žgalement rŽfutŽ par la biologie, il ne reste plus comme cohŽrente que la construction autopo•Žtique  de formes mentales propres ˆ lÕindividu. Un phŽnomne de rŽsonance, au sens dŽfini par RenŽ Thom, permet cependant ˆ tout individu Ç vivant È capable, de comparer des formes mentales proposŽes de lÕextŽrieur par un tiers, ˆ ses propres constructions autopo•Žtiques.

Ce phŽnomne de rŽsonance sÕŽtablit spontanŽment sur toutes les idŽes de Ç LÕŽpoque È. CÕest le time-binding, cher ˆ Krorzybski, qui nÕest nullement contradictoire avec la notion de cl™ture, mais exige une histoire individuelle antŽrieure.

 

Les consŽquences sur Ç la philosophie È sont considŽrables.

 

G) Les piges du langage

 

Korzybski en 1933, avant Clifford Geertz, Žcrivait que le langage et la culture ont de trs fortes dŽpendances rŽciproques. Or le langage offre une possibili de propositions nouvelles beaucoup plus vaste que la situation expŽrimentale, y compris les jeux de mots faciles comme "J'ouie sens" pour jouissance, ˆ la base de la problŽmatique lacanienne. Parmi ces propositions, et en dehors de toute vŽrification, il est donc obligŽ que le plus grand nombre des propositions soient erronŽes (J. FourastiŽ, exergue). Le mŽcanisme du contr™le de la mŽmoire ˆ long terme fait que les propositions "plaisantes",  vraies ou fausses mais correspondant ˆ des motivations personnelles, ont beaucoup plus de chances d'tre retenues. Survient ensuite l'oubli des conditions dans lesquelles la proposition a ŽtŽ ŽlaborŽe. De ce fait, ce qui n'Žtait qu'une proposition devient une certitude. Le mythe s'installe, qui est une hypothse dont on oublie qu'elle Žtait telle. Ainsi naissent les "erreurs premires" de Bachelard et Gonseth, qu'il est ensuite trs difficile d'Žvacuer. Roland Barthes lui-mme, "homme de lettres" par excellence, le reconnat. A titre d'exemple, Marie Curie a dŽcouvert expŽrimentalement la radioactivitŽ, mais elle a introduit l'erreur que la radioactivitŽ "ne pouvait pas tre nocive", et la correction de cette erreur a deman plus de trente ans, responsable auparavant de nombreux accidents qui auraient pu tre Žvis.

 

Au total, ce que nous appelons le monde ou l'image du monde, n'est qu'un recueil hŽtŽroclite rassemblant des observations bien conduites et articulŽes, associŽes ˆ des erreurs inŽvitables. Aller jusqu'en bas, c'est retenir que la connaissance humaine du monde n'est rien d'autre  que la tentative de faire que les choses correspondent les unes aux autres de manire ŽquilibrŽe. C'est un schŽma provisoire dont la quali est montrŽe par l'utilitŽ. A notre Žchelle, ce schŽma se trouve renforcŽ et vali par ce que Winston Churchill, citŽ par Popper, appelait des relevŽs crois. Mais au-delˆ de notre Žchelle dans le temps et l'espace, la circonspection systŽmatique est de mise.

 

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Les mŽcanismes cŽrŽbraux humains ˆ l'origine des connaissances

 

En 1710, Giambattista Vico Žcrivait Žgalement, que nous ne connaissons vraiment que ce que nous avons fait. A faut, il nous faut connatre au moins comment une chose nat et comment elle se fait.

 

            En 1970, Franois Jacob prŽcisait jˆ que l'information A.D.N. contenue dans l'oeuf initial, ne pouvait en aucun cas expliquer ˆ elle seule, l'organisation de l'individu ˆ la naissance. L'homonculus mental, implicitement postulŽ par la psychanalyse, n'est pas plus cohŽrent que l'homonculus  physique postulŽ par Hartsoeker en1694. Les travaux ultŽrieurs n'ont fait que confirmer ce point de vue. La quasi-totalitŽ des gnes prŽsents dans l'oeuf, correspondent ˆ des fonctions universelles pour les organismes biologiques. Par ailleurs, le gne n'est qu'un "mot" qui n'acquiert une fonction qu'en rapport avec la "phrase" qui le contient. Le gain d'ordre durant le veloppement prŽnatal, lors du passage de l'oeuf initial au nouveau-nŽ, est donc considŽrable.

 

 

Plusieurs hypothses ont ŽtŽ proposŽes pour expliquer ce gain d'ordre :

- certaines se rŽsument ˆ des influences extra-utŽrines. En fait, il est facile de montrer qu'il n'y a pas sur ce plan, de grande diffŽrence entre le veloppement vivipare et ovipare. Or, l'absence de tout organisateur extŽrieur est manifeste chez l'ovipare.

- toutes les hypothses de prŽforme ou de dŽroulement d'un programme prŽalable, sont invalidŽes dans le sens prŽvu par Franois Jacob. Cela enlve tout crŽdit ˆ une explication par une maturation indŽpendante de l'expŽrience.

 

En fait, les explications qui tiennent le mieux la rampe aujourd'hui, sont celles qui rattachent le gain d'ordre uniquement ˆ la mŽmorisation d'une "rŽflexion" du sujet sur son activi propre durant leveloppement. "Pour devenir un embryon, vous avez ˆ vous construire vous-mme, ˆ partir d'une seule cellule"(Scott F. Gilbert, 2006)

 

L'ensemble de la chane ADN ne constitue en aucun cas un programme qui spŽcifierait ds le dŽpart, les Žtapes successives d'un dŽveloppement. L'oeuf doit plut™t tre considŽrŽ comme un couple lecteur-dictionnaire, comme Racine qui rechercherait, un par un, les mots initialement isolŽs, ˆ utiliser pour Žcrire une tragŽdie nouvelle par combinaison de ces mots. Dans cette comparaison, manque le fait que la lecture du dictionnaire et le choix des mots, seraient totalement dŽterminŽs par le but jˆ Žcrit de la tragŽdie, qui constituerait une seconde mŽmoire rŽsumant le vŽcu antŽrieur. Manque Žgalement le fait que 4/5me des "mots" ADN, sont des mots multiordinaux au sens de Korzybski.

 

Il y a obligatoirement un certain nombre de "mots" qui sont spŽcifiques. Sinon, on ne voit pas pourquoi un Ïuf de souris ne donne pas parfois naissance ˆ un ŽlŽphant, mais ˆ ma connaissance, aucun travail actuel ne dŽfinit cette spŽcificitŽ. En revanche, je retiens le mot de J.J. Watson, le pre de la double hŽlice, dans son dernier ouvrage (2007) : ce sont des diffŽrences dans la rŽgulation plut™t que dans l'identitŽ des gnes qui dŽterminent les phŽnotypes.

 

De ce fait, ce qui remplace une prŽdŽtermination totalement dŽfinie de dŽpart qui est invalidŽe par les connaissances actuelles, est une succession de rŽflexions sur l'activitŽ prŽsente, authentiquement crŽatrice de nouveautŽs et non inscrites initialement. C'est la rŽaction circulaire de Baldwin et Piaget,  ou "the activity-dependant development" des auteurs anglo-saxons actuels. Il s'agit de l'application au veloppement prŽnatal d'un mŽcanisme universel : un organisme est perpŽtuellement soumis ˆ des dŽsŽquilibres par les fluctuations de l'environnement, ce qui impose en retour un rŽŽquilibrage (Claude Bernard). La mŽmorisation des conduites internes ayant  tabli  l'Žquilibre, assure le gain  d'ordre.  "La construction de  l'embryon est comparable ˆ un encha”nement de thŽormes gŽomŽtriques o chacun est rendu nŽcessaire par  l'ensemble  des  prŽcŽdents,  sans  tre  contenu  d'avance  dans  les  axiomes  de  dŽpart(Waddington, 1964)". Cela n'est nullement contradictoire avec le fait que deux Ïufs initialement identiques dans les moindres dŽtails, donneront obligatoirement deux phŽnotypes parfaitement identiques. C'est le lien obligatoire dŽjˆ dŽcrit par Claude Bernard entre l'autonomie et le dŽterminisme le plus strict.

 

Au stade de l'oeuf, les risques de dŽsŽquilibre liŽs aux modifications induites par le milieu ambiant extŽrieur ˆ l'oeuf, sont rŽduits au minimum. Ce sont donc les interactions entre sous-systmes qui provoquent dŽsŽquilibres et rŽajustements. Les seules significations acquises rŽsultent de ces interactions. Aucun ŽlŽment du milieu extŽrieur, physique ou social, ne peut intervenir pour modifier positivement le veloppement, et y laisser une trace, sauf trs partiellement la pesanteur.

 

Plusieurs consŽquences essentielles doivent tre tirŽes de ce schŽma :

 

-le cerveau ˆ la naissance ne peut  contenir aucune orientation comportementale, aucune donnŽe concernant une relation avec le milieu ambiant, physique ou social, qui aurait ŽtŽ acquise durant le veloppement prŽnatal. Comme par ailleurs, l'information contenue dans l'oeuf initial est des plus rŽduites, il ne peut y avoir, avant une relation avec le milieu ambiant, aucune orientation comportementale rŽglant les relations avec ce milieu. Laplanche et Pontalis l'avaient pensŽ, il y a longtemps (1964), tentant de substituer l'universali du vŽcu des nourrissons ˆ la notion freudienne de la transmission hŽrŽditaire d'une histoire ancienne. Ils n'ont obtenu aucune Žcoute, et pour cause. Seuls les psychanalystes pouvaient tre intŽressŽs par la question, et bien peu nombreux Žtaient ceux qui Žtaient prts ˆ renoncer ˆ leur homonculus mental, de MŽlanie Klein ˆ Anna Freud, en passant par Winnicott.

En fait, une comparaison partielle pourrait tre faite entre le nouveau-nŽ et un ordinateur neuf dans lequel aucun programme nÕa encore ŽtŽ introduit. Tous les mŽcanismes  hardware sont prŽsents et prts ˆ agir, mais en revanche, comme l'ordinateur neuf, le cerveau est pratiquement vide de significations. Ainsi se trouve implicitement condamnŽ tout ce qui se rapporte aux fantasmes originaires  freudiens, ou ˆ lÕinconscient langagier lacanien.

Toutes les connaissances se rŽduisent ˆ un complŽment acquis de lÕorganisation cŽrŽbrale qui doit tre totalement repris pour chaque individu aprs la naissance.

 

- le constructivisme n'apparat plus aujourd'hui comme une option, mais comme une nŽcessitŽ. Sur la base dÕun systme dont le fonctionnement peut tre dŽcrit en termes neurophysiologiques, s'Ždifie un "second systme" de significations qui rŽsument les expŽriences de chaque sujet au contact de l'environnement. Bien entendu, contrairement au "second systme de signalisation" postulŽ par Staline, ce second systme est construit par le sujet lui-mme, impliquant certes l'existence d'un milieu social, mais sans "dŽterminisme social", et un milieu social principalement efficace par sa seule prŽsence, sÕoffrant aux initiatives. Ç Je nÕenseigne rien ˆ mes Žlves, dit Einstein, jÕessaie simplement de crŽer les conditions dans lesquelles, ils peuvent apprendre. È

 

 

ThŽoriquement, il y a deux options constructivistes :

 

- la fonction organisatrice de la construction est imputŽe ˆ l'habitude et  trouvŽ dans la rŽpŽtition des comportements en rŽponse aux stimulations de lÕenvironnement. Ce sont donc les occurrences des ŽvŽnements rŽpŽtŽs qui fixent une structure de la construction qui Žchappe ˆ lÕinitiative du sujet.

 

- cette fonction organisatrice est attribuŽe ˆ une Ç flexion È du sujet sur les sultats de son fonctionnement mental, qui sÕeffectue en deux temps, un temps prŽ-linguistique puis un temps linguistique.

Tout montre que seule la seconde option est cohŽrente.

 

Le temps prŽ-linguistique :

 

Il  est permis par l'organisation des aires visuo-perceptives, fonctionnelles ds la naissance, contrairement ˆ ce que pensait Piaget. Le contour des objets est accentuŽ, et donc leur opposition ˆ l'environnement est spontanŽe et immŽdiate. Il en rŽsulte que le "monde" du nourrisson est longtemps un monde d'objets distincts. Ces objets sont initialement seulement reconnus et diffŽrenciŽs, sans liens entre eux. La signification apparat lorsque l'objet peru est secondairement rattachŽ rŽgulirement ˆ un "emploi", comme par exemple le biberon pour lÕalimentation, ou ˆ plusieurs emplois, comme la mre. Les significations n'existent donc pas a priori ou ontologiquement, mais sont dŽduites d'un vŽcu intŽg et jugŽ.

Les objets et les conduites usuelles ont tendance ˆ constituer des entitŽs plus facilement Žvocables en tant que tels, les schmes piagŽtiens. Ces schmes sont mobilisables et peuvent sÕinsŽrer ˆ plusieurs dans des ensembles complexes. Il en rŽsulte : a) une Žbauche de liens de catŽgorisation des diffŽrents objets, b) une Žbauche de globalitŽ dessinant un "monde", opposant un "moi" et un "non-moi". Celui-ci est lui-mme divi entre des "autres comme moi" et un monde physique, c) une intelligence perceptivo-motrice pouvant articuler les schmes dans l'instant.

 

Le dŽveloppement prŽ-linguistique est initialement le seul prŽsent. Il continue ˆ se dŽvelopper bien aprs l'apparition du langage, notamment par l'Žlaboration d'une gŽomŽtrie reprŽsentative du temps et de l'espace, qui est une "flexion" sur le fonctionnement prŽexistant des aires visuo-corticales. Dans cette Žlaboration, il arrive un moment o le temps linguistique devient indispensable, thŽories de la Relativi et canique quantique, car la reprŽsentation perceptive devient totalement artificielle ; c'est la base du Principe de Correspondance de l'Ecole de Copenhague.

 

D'une faon nŽrale, au sens o l'entendent Gopnik et al (The scientist in the crib, 2000), les faits premiers peuvent conduire ˆ des "thŽories", mais ces thŽories ne sont rien d'autres que des nŽralisations empiriques. La situation change totalement lorsqu'une thŽorie est apprise directement par le langage, alors fortement indŽpendante de faits rŽellement vŽcus qui sont en quelque sorte, court-circuitŽs. Paralllement, apparaissent des risques d'extrapolations erronŽes  et d'interprŽtations fectueuses qui sont considŽrables en l'absence de vŽrifications expŽrimentales.

 

 

Le temps linguistique :

 

 

Il permet d'incorporer directement, et sans expŽrience propre, la "connaissance du monde" d'autrui, venant de l'entourage familial et de la culture du groupe. Ce temps linguistique apparat alors que le jugement est encore embryonnaire. Aucune diffŽrentiation n'est donc possible entre les Žlaborations intŽressantes et les erreurs premires, ce qui justifie le time-binding de Korzybski et l'interprŽtation des cultures de Clifford Geertz.

D'une faon gŽnŽrale, une hypothse n'est telle que si le sujet qui l'Žmet, a conscience qu'elle est telle. Le bŽbŽ a donc des "thŽories" sur le monde, mais pas d'hypothses. L'hypothse nat vers douze ou treize ans d'‰ge mental, avec l'apparition  du sens du "possible", opposŽ au "certain" et ˆ "l'impossible", ce qui ne peut valoir que sur le plan linguistique. Seuls, un nombre extrmement limi d'Žlus, parviennent au stade de la manipulation correcte de l'hypothse dans le domaine des sciences humaines.

 

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Au total, la tortue du bas n'est pas caractŽrisŽe par un contenu, mais par une attitude qui rejoint le courant sceptique de Pyrrhon et de MŽnodote, et qui inclut  :

- une grande mŽfiance vis ˆ vis de tout Ç Matre ˆ penser È et de son discours, et mme une condamnation de toutes les formes de discours premier. "La science, dans son besoin d'achvement comme dans son principe, s'oppose absolument ˆ l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de lŽgitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion, de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances. En dŽsignant les objets par leur utilitŽ, elle s'interdit de les conna”tre. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la dŽtruire. Elle est le premier obstacle ˆ surmonter. (G. Bachelard, 1938 , F.E.S, chapitre premier, 2 me page)"

- la nŽcessitŽ absolue de remonter (ou descendre !!) toujours jusqu'aux bases fondamentales de la connaissance actuelle et de la flexion, les mieux Žtablies, quel que soit le sujet abordŽ. Cela inclut une mise ˆ jour constante et l'acceptation de l'existence obligatoire d'erreurs premires dans toute thŽorie, erreurs qui ne seront identifiŽes et corries que par la suite.

"La connaissance du rŽel est une lumire qui projette toujours quelque part des ombres. (G. Bachelard, 1937)"

-       le primat d'une approche expŽrimentale basŽe sur la dŽtermination de relations rŽpŽtables.

 

Figure :

 

MŽcanisme de la communication entre cellules en 2006. 20 ans aprs, le schŽma de 1987 dessinŽ ˆ la page 8, demeure totalement valable.

 

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Science et mŽtaphysique

 

"nous pouvons observer et voir ce qui se passe dans notre tte, et nous ne pouvons observer ni voir rien d'autre. Le ciel ŽtoilŽ que nous fait conna”tre la sensation visuelle est ˆ l'intŽrieur de nous. Le ciel ŽtoilŽ auquel nous croyons est infŽrŽ.". Cela ne prouve en rien qu'il n'y a rien d'autre, et il est mme absurde de le penser.

 

Quelle que soit la tortue tout en bas, elle flotte en l'air, et il faudrait se garder de l'oublier. Notre horizon cognitif est irrŽvocablement bornŽ aux choses qui peuvent tre reliŽes les unes aux autres, et que nous pouvons saisir dans notre conscience. Nous pouvons faire dessus, toutes les manipulations opŽratoires que nous voulons, cela n'y change rien. Nous pouvons exprimer notre connaissance en donnŽes purement formelles qui dŽpassent nos mŽcanismes perceptifs, mais il n'empche que les donnŽes traitŽes ont exigŽ auparavant un recueil perceptif, indŽlŽbilement marquŽes par les particularitŽs de notre cerveau, et donc relatives ˆ lui.

En un mot, Duhem s'est trompŽ sur un point, mais il avait totalement raison sur l'autre. Notre fonctionnement mental n'Žchappe pas ˆ l'approche scientifique, mais celle-ci est inŽluctablement bornŽe dans les limites de notre "own world" selon la belle expression de Georges Lerbert. Au delˆ, il y a le domaine infini et ouvert, de la croyance, ou celui de la mŽtaphysique, ce qui revient au mme.

 

Il n'y a que deux restrictions ˆ apporter :

- il faut se soucier d'avoir Žpuiser l'intŽgration de l'approche scientifique pour Žviter des contradictions inconcevables. Il faut donc avoir conscience de bien se situer "aprs" la Physique.

- il faut prendre garde ˆ pouvoir relier entre eux de faon cohŽrente, tous les principes ponctuels de croyance.

 

Une question d'Žthique :

 

Lorsqu'une proposition est prŽsentŽe ˆ autrui comme scientifique, la recherche de la tortue du bas s'impose d'un point de vue Žthique, aussi bien que d'un point de vue rationnel. Il importe de communiquer ˆ autrui, toutes les raisons qui nous ont fait intŽgrer cette proposition.

 

La situation est toute autre sur le plan de la croyance. D'un point de vue Žthique, le point essentiel est de reconna”tre que l'autre a pu faire des choix mŽtaphysiques diffŽrents des n™tres, sans qu'il y ait un moyen de dŽpartage si les principes de cohŽrence interne ont ŽtŽ respectŽs.

C'est donc la tolŽrance de principe qui doit rŽgner.

 

La frontire entre la science et la mŽtaphysique est mobile :

 

De ce fait, cÕest nŽcessairement sur cette frontire que se situent les tortues du bas. LÕhistoire culturelle rŽvle que de nombreux problmes qui semblaient initialement du domaine de la croyance et de la mŽtaphysique ont pu tre abordŽ par la Science. CÕest aujourdÕhui le cas du fonctionnement cŽrŽbral humain, et il est devenu impossible de laisser ˆ la croyance, le choix entre Descartes et Gassendi, dans un conflit apparu de faon moderne  au XVIIme sicle, mais rŽsumant 20 sicles dÕopposition entre DŽmocrite dÕune part, Platon et Aristote dÕautre part.

Le XVIIme sicle a bŽnŽficier de lÕŽchec relatif de la scholastique, du triomphe de lÕhumanisme italien et dus scepticisme stŽrile de Montaigne. Il peut tre illustrŽ au mieux par le conflit entre Descartes et Gassendi.

 

Le rŽalisme de Descartes, implicitement ou explicitement prend deux aspects :

-       le rŽalismes des idŽes, concepts ou apparentŽs qui auraient une existence propre indŽpendamment des sujets qui les manipulent. CÕest probablement Alain Connes qui a ŽtŽ rŽcemment le plus loin dans ce domaine, mais lÕaffirmation Ç Je pense comme je suis È nÕest cohŽrente quÕau travers de lÕaffirmation dÕun discours premier.

-       le rŽalisme des choses qui postule que les choses ont des propriŽtŽs en soi qui seraient accessibles indŽpendamment des particularitŽs dÕanalyse de lÕobservateur

 

LÕempirisme de Gassendi prend deux aspects, prŽcisŽ avec beaucoup de retard par Korzybski :

-       les idŽes, concepts ou apparentŽs sont entirement construits par lÕhomme ˆ partir des donnŽes sensibles recueillies par le cerveau, et liŽe aux particularitŽs du fonctionnement cŽrŽbral. Il nÕy a pas dÕtres abstraits, mais seulement des activitŽs dÕabstraction.

-       les choses ne peuvent tre dŽfinies quÕˆ partir des propriŽtŽs que leur attribue lÕobservateur, et qui dŽpendent du fonctionnement de cet observateur. Il en rŽsulte que la carte nÕest pas le territoire, et quÕune identitŽ de structure entre les deux, nÕa un critre dÕutilitŽ.

 

La Science permet aujourdÕhui, me semble-t-il,  de trancher en faveur de Gassendi et de Korzybski

 

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